Citation:
pouvez vous me dire si c’est vrai que la version loubavitch du siddour est selon l’enseignement et la version du baal chem tov ?
Vous avez certainement dû entendre que le Sidour Loubavitch suit la version du «
Arizal », pas du «
Baal Shem Tov ».
En l’occurrence, le
Tehilat Hashem (alias le Sidour Loubavitch) se dit être basé sur le Nossa’h du
Arizal, ce qui ne signifie pas que ce soit exactement la même version (que le Arizal) tout le long, le
Baal Hatanya (rédacteur de ce sidour) a comparé de nombreuses sources et a fait des choix.
Pour ce qui est du
Sidour du Baal Shem Tov, il y a des différences.
D’une part le
Baal Shem Tov priait selon le Nossa’h Ashkenaze (et non Sfard- ‘Hassidique) et il y a aussi quelques différences avec le Nossa’h Ashkenaze classique (et a fortiori avec le
Tehilat Hashem).
La plus connue, souvent mentionnée par le dernier
Rabbi de Loubavitch, c’est qu’à la place de הקדושה dans la phrase du Birkat Hamazon כי אם לידך המלאה הפתוחה הקדושה והרחבה, dans le Sidour (personnel) du
Besht on trouve le mot הגדושה avec un ג au lieu du ק
(ce qui, soit dit au passage, est bien plus logique et compréhensible que notre version).
C’est dans le Birkat Hamazon du vendredi soir, en voici une photo :
https://postimg.cc/mz4tXHFM
Néanmoins, dans ce même
Sidour, dans le Birkat Hamazon qui est après la Tfila du matin il y a le mot הקדושה
(avec un ק), voici une photo:
https://postimg.cc/KRCL74Q7
Cette différence est étrange et semble ne pas être voulue, il y a plusieurs petites imprécisions et fautes d’orthographe dans le Sidour qu’utilisait le
Besht et qui a été écrit par son beau-frère
Reb Guershon Kitover (de Kouty en Ukraine).
Dans les sources ‘Habad, on trouve souvent qu’il n’est fait mention que de la version הגדושה du
Sidour du Besht (donc vendredi soir) et on omet de parler de la version qui s’y trouve après la prière du matin. Voir
Likoutei Si’hot (XIV, p.476).
Et c’est étonnant car les Loubavitch étaient précisément ceux par excellence qui avaient accès au
Sidour du Besht, il me semble que la Sefria ‘Habad en est dépositaire.
Aussi, certaines sources, dont le
Vayaas Avraham (Landau) (in Tslota DeAvraham, Jér. 2016, p.623), indiquent que dans le
Sidour du Besht c’est une note dans la marge du mot הקדושה qui signale/corrige הגדושה.
Mais c’est faux, c’est écrit dans le corps du texte, comme vous pouvez le constater sur la photo.
Rav Reouven Margulies (Hagada Beèr Myriam daf 29b -et nouvelle édition, Jér. 2004, p.91) écrit au nom du
Meorei Or (R. Aharon Worms) (Metz 1790, V, daf 40a), qu’il ne faut pas dire הקודשה avec un ק, mais הגדושה avec un ג, car le terme הקודשה constituerait un Hefsek entre הפתוחה et הרחבה qui suivent une idée commune. Et il ajoute aussi que cela se retrouve dans une ancienne version (qui portait הגדושה).
Puis,
Rav Margulies indique que dans le
Or Zaroua le Nossa’h est כי אם לידך הקדושה והמלאה והרחבה, de sorte que le terme הקדושה ne vient plus interrompre entre deux épithètes à la signification proche (voir aussi
Shirouta DeAvraham sur le Tslota DeAvraham, Jér. 2016, p.621).
Le
Meorei Or est aussi cité par le
Or’hot ‘Haïm Spinka (§187,4).
Voir aussi le
Pinkas de Rav Welber dans
Tsfounot (IX, p.89).
J’indiquerais encore que le Nossa’h Sfarade est plutôt המלאה והרחבה העשירה והפתוחה, ce qui plaide en faveur du
Meorei Or et de la version הגדושה plutôt que הקדושה
(puisque remplacé par העשירה).
J’ai vu que le
Pleitat Sofrim (Birnbaum) (Jér. 1971, p.88) m’a devancé pour cette remarque. Et qu’il a lui-même été devancé par le
Sidour Heguyon Lev (Königsberg 1845, daf 92b).
Le
Rav J.B. Soloveitchik disait « הגדושה», cf.
Nefesh Harav (p.148) qui précise que c’était aussi le Nossa’h du
Besht. Néanmoins, comme on l’a vu, les deux versions coexistent dans ce sidour manuscrit qu’utilisait le
Baal Shem Tov.
Le
Otsar Hatfilot (I, daf 246a) cite les deux versions, et le
Iyoun Tfila (ad loc) indique qu’il n’a trouvé aucun ancien texte portant הגדושה. Pourtant, cela existe bien, notamment dans le
Sidour du Besht, mais il n’y avait pas accès.
Voir aussi un témoignage sur d’anciennes versions portant הגדושה dans le
Pinkas de Rav Welber dans
Tsfounot (IX, p.89).
Le
Aroukh Hashoul’han (o’’h §188,6) aussi mentionne les deux versions :
ויש סידורים שבמקום הקדושה כתוב הגדושה כלומר לשון גודש, שנותן כביכול יד מלאה עם גודש
Comme souvent, son fils
Rav Baroukh Epstein semble ne pas avoir lu les écrits de son père et, lorsqu’il pose la question de l’adjectif qualificatif qui n’est pas à sa place, il y répond
(Baroukh Sheamar, Tfilot, p.211) que le mot הקודשה signifie en réalité הגדושה, en vertu d’une règle qui permet la permutation des lettres ג et ק.
Ainsi, on trouve dans
Yeshaya (25,7) פקו qui veut dire פגו.
On a aussi l’expression Kenokef Zayit כנוקף זית dans
Yeshaya (17,6 et 24,13) qui signifie כנוגף זית.
J’ai vu aussi dans le
Le’hem Rav (Rav Moshé Litsch-Rosenbaum) (Jér. 2000, p.225) qu’il rapporte que le
Rabbi de Antinia (‘Hassidout reliée à Vizhnitz) étant passé à Worms, y avait vu le Sidour de
Rashi, et il y était écrit (dans le Birkat Hamazon) המלאה והגדושה avec un ג.
Sans soupçonner la probité du Rabbi, je me permets de questionner l’authenticité de ce témoignage et d’émettre quelques doutes quant à l’existence même de ce prétendu Sidour de
Rashi que personne n’atteste
(le livre « Sidour Rashi » qui est connu n’est pas ce que nous appelons un Sidour, un rituel de prière, mais un livre de Halakha). Et que ferait-il à Worms, ville que
Rashi a quittée étant bien jeune, pourquoi y aurait-il abandonné son Sidour ?
Le
Pit’hei Shearim (p.399) rapporte que
R. Shmouel Salanter qui disait הגדושה. Un témoignage concordant se trouve aussi dans
Torat Rabeinou Shmouel Salant (I, p.109), et
Otsrot Yeroushalayim (XV, Jér. 2012, p.51).
Le
Otsar Haminhaguim de Biale (Jér. 2012, p.111) indique que leur minhag est de dire לידך המלאה הקדושה הגדושה והרחבה.
Voir aussi
Piskei Tshouvot (§187,1, note 3).
Comme ça au moins on est sûr de ne pas suivre le Nossa’h d’origine 😊.
Mais je ne sais pas à quel point il y a une nécessité de tenter de retrouver le Nossa’h d’origine avec précision ; nous constatons qu’il y a énormément de différentes versions sur cette phrase
[voyez ‘Hikrei Kabala Vetfila (Beèr Sheva 2012, p.317) qui en rapporte plus d’une quinzaine] et le souci de se rapprocher du Nossa’h originel ne concerne pas les petites subtilités de ce type, il suffit de préserver le מטבע הברכה.
En tout cas, ce Minhag de Biale ne résoudra pas le problème du Hefsek.
[J’indique encore une chose : j’ai maintes fois entendu des personnes dirent, avant la brakha post kriat Hatorah, « Emet Toraténou
Hakédousha ». Je leur ai parfois indiqué qu’il serait plus juste de dire Hakedosha (o et non ou), mais sans obtenir de résultats probants.
Il se trouve que dans les pays Sfarades, ou plus précisément les pays arabophones, on ne distinguait pas trop entre les sons o et ou. Le patronyme ‘Houri peut aussi se dire ‘Hori. Ils ne diront jamais Barokh en place de Baroukh, mais disons que c’est surtout dans l’autre sens ; les o deviennent parfois des ou, car le son o n'existe pas vraiment en arabe
(ce qui permet de supposer -puisque les deux existent- que le véritable patronyme serait ‘Hori avec un ‘Holam).
J’y pense car, ici dans le Nossa’h Ashkenaze du Birkat Hamazon, on dit leyadekha hameléa Hakedosha… et selon l’explication de
Rav Baroukh Epstein que le ק remplace ici un ג et donne le sens de הגדושה, il faut donc ponctuer avec un Melapoum, et dire leyadekha hameléa
hakedousha et non Hakedosha. C’est un ‘hidoush.]
PS: je ne me relis pas et c'est dommage car j'ai été un peu long... Veuillez excuser les fautes, merci.