Quelqu'un qui a l'habitude de ne pas ouvrir de bouteilles pendant Chabbat, s'il pense que selon la stricte loi c'est interdit, ou que c'est l'avis de son Rav, il n'a pas le droit de demander à quelqu'un d'autre – même sous forme d'allusion – d'ouvrir une bouteille.
En revanche, s'il considère que selon la stricte loi c'est permis, seulement il s'abstient en raison du fait que certains décisionnaires interdisent, il lui est permis de demander même explicitement à quelqu'un qui ne partage pas cette habitude d'ouvrir une bouteille.
Toutefois, celui qui s'abstiendra sera digne de bénédiction.
Par ailleurs, il est toujours possible d'ouvrir une bouteille après avoir percer son bouchon, comme nous l'avons montré dans une précédente réponse (https://www.techouvot.com/viewtopic.php?p=61346#61346).
Sources et explications :
Il est écrit dans la paracha de
Kedoshim (19:14)
"Lifnei iver lo titen mikhshol". Littéralement : "Ne place pas d'obstacle sur le chemin d'un aveugle."
Aussi, lorsque quelqu'un faute à cause de nous, nous enfreignons l'interdit de
lifnei iver, comme l'écrit la
Guemara d'
Avoda Zara (6b) que celui qui tend un verre de vin a un nazir transgresse l'interdit de
lifnei iver.
L'interdit de
lifnei iver s'applique-t-il pour quelque chose qui est interdit aux uns mais permis aux autres ? Cette question est sujette à discussion parmi les décisionnaires.
Les décisionnaires qui autorisent
D'un côté, le
Ktav Sofer (יו"ד סי' עז) affirme que quelqu'un qui pense qu'un certain aliment est interdit a le droit de le donner à manger à son ami qui considère que c'est permis, car pour son ami ce n'est pas une faute de le consommer.
Il rapporte l'appui une Guemara dans le traité de 'Houlin (99b) qui raconte que Rabbi Ami soutenait que les nerfs donnent du goût (יש בגידין בנותן טעם).
Cependant, si quelqu'un venait lui poser une question au sujet d'un plat dans lequel avait été mélangé un nerf interdit, il l'envoyait chez Rabbi Itzhak ben 'Halov qui tranchait comme l'avis de Rabbi Yehoshoua ben Levy selon lequel les nerfs ne donnent pas de goût pour autoriser ce plat à la consommation.
Le
Ktav Sofer en conclut qu'à partir du moment où certains décisionnaires autorisent, cela ne s'inscrit pas dans l'interdit de
lifnei iver, bien que nous-même soutenions que c'est interdit.
De même, le
Mabit (ח"א סי' כא) soutient que les fruits cultivés par des non-juifs pendant la
shemita ont de la
kedoushat shevi'it (c’est-à-dire qu'ils ont une sainteté propre aux fruits qui poussent pendant la
shemita).
Cependant, il affirme qu'il est permis de vendre de tels fruits à ceux qui n'ont pas la coutume de les considérer comme saints.
Il explique que puisque ces derniers s'appuient sur les décisionnaires qui ont une position permissive à ce sujet, cela ne s'inscrit pas dans l'interdit de
lifnei iver.
Les décisionnaires qui interdisent
D'un autre côté, le
Sha'ar Hamelekh (אישות פ"ט הט"ז) démontre à partir des propos de la
Shita Mekoubetzet dans le traité de
Nedarim (90a) que quelqu'un qui a la coutume de ne pas allumer sa cigarette à partir d'une bougie faite de graisse interdite (חֵלב), s'il tend cette bougie a son ami qui ne partage pas cette coutume, il enfreint l'interdit de
lifnei iver.
Les décisionnaires contemporains
La plupart des décisionnaires adoptent la position du
Sha'ar Hamelekh.
Néanmoins, beaucoup d'entre eux font la distinction entre un cas où nous considèrons que c'est strictement interdit et un cas où nous nous abstenons en tant que
'houmra (mesure de rigueur).
Tel est l'avis de Rav
Shlomo Zalman Auerbach (מאור השבת ח"א מכתב ג-ח) qui évoque la question quant à savoir si quelqu'un qui s'abstient de fumer pendant Yom Tov a le droit d'offrir une cigarette à son ami qui ne partage pas cette habitude.
Il conclut que s'il soutient que selon la Halakha c'est interdit, en lui donnant une cigarette, il enfreint l'interdit de
lifnei iver.
En revanche, s'il s'abstient uniquement parce que telle est la coutume dans sa famille ou de ses Rabbanim, dans ce cas, le principe de
lifnei iver ne s'applique pas.
Car dans ce cas, celui qui s'abstient sait que son ami n'est pas obligé de s'abstenir comme lui, car chacun suit la coutume de ses pères.
Il ajoute qu'il en va de même pour quelqu'un qui fait sortir Chabbat selon l'horaire de
Rabénou Tam.
C'est également l'avis de
Rav Wozner (שבט הלוי ח"א סי' נג) qui écrit que quelqu'un qui fait sortir Chabbat selon l'horaire de
Rabénou Tam, n'a pas le droit de dire à quelqu'un qui a déjà fait sortir Chabbat de faire un travail interdit.
Cependant, il ajoute que si on ne procède comme
Rabénou Tam qu'en tant que
'houmra, il n'est pas certain que ce soit interdit.
Il semble que ce soit aussi l'avis de Rav
Ovadia Yossef (יביע אומר ח"ט יו"ד סי' כח סק"ד) qui rapporte que beaucoup de décisionnaires ont adopté l'avis du
Sha'ar Hamelekh.
Toutefois, il précise que l'interdit de
lifnei iver s'applique uniquement pour quelque chose qui est interdit selon la stricte loi, mais pas lorsqu'on s'abstient de faire quelque chose en tant que
'houmra.
C'est également l'avis de Rav
Ophir Malka (הליכות שבת ח"א פכ"א סי"ג) qui écrit que si nous avons l'habitude de ne pas ouvrir des bouteilles pendant Chabbat uniquement en tant que
'houmra, il est permis de demander à quelqu'un qui ne partage pas cette habitude qu'il ouvre une bouteille.
En revanche, si nous pensons – après avoir étudié ce sujet – que d'après la Halakha c'est interdit, ou que tel est l'avis de notre Rav, il est interdit de demander à quelqu'un d'autre d'ouvrir une bouteille pendant Chabbat.
L'avis de Rav Elyachiv
Rav
Elyachiv (שבות יצחק ח"ד מלאכות עמ' קפא) quant à lui affirme que si nous avons l'habitude de ne pas ouvrir des bouteilles pendant Chabbat, dans tous les cas, il nous est interdit de demander à quiconque d'ouvrir une bouteille.
Il rapporte d'abord à l'appui les propos du
Sha'ar Hamelekh susmentionnés.
Mais il ajoute que c'est interdit même si notre habitude procède d'une
'houmra.
Il rapporte comme preuve les propos du
Mishna Broura (סי' תרכד סקט"ז) au nom du
Tour selon lesquels quelqu'un qui a l'habitude de faire Kippour deux jours de suite n'a pas le droit de demander à quelqu'un d'autre de lui faire un travail interdit.
Or, il ne s'agit pas d'une stricte loi, mais d'une
'houmra.
Allusionner
En outre, lorsqu'il est interdit de demander à son prochain d'ouvrir une bouteille, il est également interdit de lui allusionner, car s'il comprend notre intention et qu'il l'ouvre, nous enfreignons l'interdit de
lifnei iver.