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Philosophes !

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sagahi55
Messages: 23
Bonjour,

Je me permets de poser cette question car n'en ayant vu que quelques réponses au milieu d'autres questions j'aurai aimé avoir une réponse précise.

En effet, j'ai cru lire plusieurs fois ici que Torah et philosophie n'étaient pas incompatibles (sur ce point pas besoin du forum, le RamBam étant suffisant).

Cependant, voici mes questions :

1/ Quels philosophes ? je suppose qu'un Aristote sera plus apprécié qu'un Épicure... ou même qu'un Spinoza "Hozer BaCheela" ?

2/ Qu'en est-il de ce qui est appelé "sagesse srecque", ne s'agit-il pas justement de la philosophie ?


Vous remerciant par avance pour vos réponses, et regrettant de ne plus pouvoir compter sur l'avis d'un Jacques Kohn Z''L qui aurait été très apprécié, mais ne doutant pas de l'aptitude d'une autre partie des Rabanims du site pour obtenir une réponse détaillée à la Rav Wattenberg. :)
Rav Binyamin Wattenberg
Messages: 6339
Désolé du retard !

Et je ne pourrais pas non plus - par manque de temps - vous donner une réponse précise et détaillée comme je l'aurais souhaité. Mais rapidement, voici quelques infos pour compenser mon retard:

Si Thora et philosophie sont ou ne sont pas incompatibles, c'est discuté parmi les commentateurs.

Bien sûr, pour le Rambam, c'est compatible, l'auteur du Guide des égarés ne saurait penser autrement.

Il y a d'autres rishonim (/kadmonim) aussi pour qui "philosopher" est une nécessité (/une mitsva) pour le judaïsme:

Rabeinou Be'hayei dans 'Hovot Alevavot (Shaar Ayi'houd)

le 'Hinou'h (§25)

Maarshal (biour Asmag §2)

Sforno (après sa akdama, dans Bekavanat Athora)



Et ceux qui y ont carrément consacré un sefer, comme:

le Ralbag (mil'hamot ashem)

Rabbi Shem Tov (sefer aémounot)

R. Avraham Ben David (Aémouna arama)

R. Saadia Gaon (émounot vedéot)

R. 'Hasday Crescas (or ashem)

le Abrabanel (mifalot elokim)

R. Yehouda Alévy (kouzari)


Et bien d'autres.


Mais nous trouvons des opposants à cette démarche pour qui il n'est pas nécessaire de passer par la philosophie pour accomplir la mitsva de émouna (-voire qui n'aiment pas du tout la philosophie), surtout chez les a'haronim, comme:

Rabbi Moshé 'Haguiz (Mishnat 'ha'hamim §494 et suivants)

R. Avraham Azoulay ('hessed leavraham, akdama)

Yaabets (migdal oz, élon moré otsar atov §11 & 13)

'Havot yaïr (§210 & 219)

Gaon de Vilna (biour y"d §179, sk.13) (even shleima §XI, 4)

Midrash Talpiot (anaf 'hidoush aolam)

R. Pin'has eliahou bar méir (sefer abrit maamar dere'h emouna)

R. Tsvi eliméle'h shapira (Maayan Ganim daf 6b -veod-)
pour qui le ets adaat c'est le iyoun a'hakirot !

Et certainement plus que tous:
rav Na'hman de Breslev qui s'y opposait très nettement, voir Si'hot Aran (§5, 32, 33, 40, 106, 217) et dans 'Hayei Moharan (maamar léitra'hek min a'hakirot).
Il s'opposait au Moré Nevou'him mais aussi aussi au Shaar Ayi'houd du 'Hovot alevavot.

Il ne faut pas croire pour autant que ce rav tenait en abomination ce qui est cérébral. Bien au contraire, il attachait une grande importance au "sé'hel", voir par exemple Likoutei Moharan (I, §1).

Rabbi Tsadok Acohen de Lublin qui s'inspirait de ce rav tenait aussi le Moré Nevou'him à une certaine distance.

C'est une démarche plutôt répandue dans la 'hassidout. On se méfie du Guide des égarés, il risquerait de nous égarer plus que de nous guider.

Mais il y a tout de même des fans du Moré Nevou'him chez certains grands de la 'hassidout et grands 'hassidim, comme R. Mendel de Kotsk qui avait constamment un moré Nevou'him sur son bureau (Amoré Ledorot p.14), ou le Rogatshover qui a écrit sur le Moré, ou encore Rav 'Haim Tsanzer (Halberstam), auteur du Divrei 'Haim, qui avait l'habitude d'étudier du Moré Nevou'him ...chaque nuit de Yom Kippour !

Aussi, chaque soir, avant de dormir il demandait à D. en prière de l'aider à mériter de Le servir comme le Rambam ! (Amoré Ledorot p.13)

Certains Rabbis ne se privent pas de citer le Moré nevou'him dans leur sfarim, comme R. Mendel de Vitebsk dans son Pri Aarets (p. Le'h le'ha & p. Vayigash) ou R. Barou'h de Kossov qui le cite souvent (Amoud aavoda §24, 30, 92, 144, 148).

Il y a aussi des rabbis 'hassidiques qui avaient une grande estime pour le Moré Nevou'him, mais qui craignaient de le citer trop facilement de peur d'être taxés d'égarement par les opposants.

Le Baal Atania (1er rabbi de Loubavitsh) est le plus connu pour ça.

Il craignait de trop citer le Moré car il avait beaucoup d'ennemis - même parmi les cercles de 'hassidim - et cela aurait pu se retourner contre lui.

Ainsi, parfois, il citera le Moré Nevou'him en précisant que c'est aussi l'opinion des kabbalistes, voir Tanya (likoutei Amarim §2, 42, 48), Shaar Ayi'houd veaémouna (§7) et Likoutei Thora (pekoudei, vayikra).

[AGAV - au passage, puisque nous parlons du §2 du Tanya (dans lequel il précise par une note que l'avis des kabbalistes rejoint celui du Rambam), il cite un peu plus haut un Zohar (sans en donner la référence) et le Rav Hirshenzohn dans Moussaguei Shav Veaémet (p.19 dans la note) souligne qu'il n'y a pas de Zohar qui dirait cela.

N'étant pas tellement à la page dans les sifrei 'habad (et dans les autres non plus d'ailleurs), je lance un appel: si quelqu'un connait une édition moderne et annotée du Tanya, s'il pouvait m'indiquer s'ils ont trouvé une référence à ce Zohar, je lui en serait reconnaissant. ]


Il y a aussi le Toldot Yaakov Yossef, qui n'était pas de nature à craindre le qu'en-dira-t-on et ses opposants (on sait ce que le grand Noda Biyehouda à fait de ce livre... ils ne rigolaient pas à l'époque!) et pourtant, il aura recours au même stratagème: citer un mekoubal qui va dans le même sens (p. le'h le'ha), ou encore il citera le Guide des égarés en en donnant la référence - le 'hélek et le pérek - mais sans citer le nom du livre ! (p. Bo, Mishpatim).

Bon, je recadre, car je n'ai pas terminé avec vos questions.

Pour la question 1)

Il y a évidemment des philosophes plus appréciés que d'autres, mais ça dépend pour qui.
Il est clair que le Rambam avait un faible prononcé pour Aristote, je crois que c'est l'homme le plus cité dans le Guide des égarés.

Il aimait bien Platon aussi, et d'autres philosophes grecs ou arabes.

Ceci étant, Épicure n'est pas totalement repoussé comme vous l'imaginez. L'épicurisme souffre d'une mauvaise publicité depuis longtemps. Déjà Cicéron l'avait en horreur.

On imagine volontiers Épicure plongé dans le matérialisme le plus bas et le plus répugnant. Or ce n'était pas le cas, il était globalement très modéré.

Il professait aussi plusieurs idées tout à fait conformes à celles des 'hazal comme "celui qui ne sait pas se contenter de peu ne sera jamais content de rien" (-eizéou ashir, assaméa'h be'helko - Avot §IV, 1) que l'on retrouevchez son "talmid" Lucrèce dans un langage encore plus près de celui de Ben Zoma: "La suprême richesse est de savoir vivre content de peu" (De la nature, V).

Il faut avouer que cela ne correspond pas au cliché de l'épicurien.

Il ne faut pas se baser que sur les Sentences d’Épicure citées par Cicéron - comme celle citée dans les Tusculanes (III, 18). Il faut plutôt le lire directement "à la source" dans la Lettre à Ménécée, il y a des phrases comme "tout plaisir est... un bien, mais tout plaisir ne doit pas être recherché..."

Mais comme il s'opposait à tout providentialisme et professait des idées contraires à la Thora, il a gardé ce nom d'apikoros par excellence.

(L'origine du terme Apikoros n'est pas d'après tout le monde le nom d’Épicure. C'est discuté parmi les commentateurs rishonim et a'haronim).


Pour Spinoza, il y a des opinions divergentes.
Bien sûr il a été excommunié, ce n'est pas vain.

Mais on retrouve plusieurs de ses idées qui s'apparentent à des notions de philosophie 'hassidique ou de kabbale.
La différence c'est qu'il prenait les choses "à l'envers".

L'exemple le plus connu est le lien qu'il voit entre D. et la nature.
L'idée consisterait à les voir confondus, pour la 'hassidout: la nature, c'est D. !
Alors que pour Spinoza, D., c'est la nature !

ça change tout...

Sinon, il a assurément - par moment - des idées qui correspondent à celles de rishonim.

Même ses critiques des ashkafot maïmonidiennes (dans le Traité théologico-politique §VI) rejoignent parfois celles des mefarshim qui s'opposent au Rambam.

Mais globalement, Spinoza est repoussé, car il avance plusieurs idées contraires à la Thora, notamment concernant sa critique biblique et surtout le libre-arbitre (Ethique livre II, Prop. 35 et 48) (livre I, prop. 29 et 32) (livre III, prop.2) même si certains s'aventurent à trouver un parallélisme entre cette idée et une autre professée dans les milieux 'hassidiques.

Eh oui, je sais, il y a plusieurs "passerelles" entre Spinoza et la 'hassidout. C'est parce que les ashkafot de la 'hassidout sont souvent basées sur la kabbale.

Spinoza parle d'un D. immanent et transcendant et de plusieurs idées que l'on peut retrouver dans la Kabbale, dans le Rambam ou dans R. 'Hasdaï Crescas.

Il y a un petit livre de rav Elie Benamozegh (rabbin livournais décédé en 1900, grand défenseur du Zohar contre les attaques de Shadal et d'autres) intitulé "Spinoza et la Kabbalah" (Jérusalem 1988, édité par le rabbin du Technion de 'Haifa, Dr E. Zini).

Voir aussi l'Anthologie Juive de Fleg (p. 401 dans l'édition de 1923) où il mentionne les parallèles entre les doctrines spinozistes et la kabala ou R. H. Crescas & Rambam.


Bref, il n'y a pas de liste exhaustive - et certainement pas unanime - des philosophes appréciés/tolérés, même parmi ceux qui tolèrent l'étude de la philosophie.

Si vous souhaitez étudier la théologie, je crois qu'il y a déjà suffisamment à faire avec les sfarim des rabanim avant de se demander quel livre de quel apikoros on peut bouquiner sans craindre l'embûche.

Si ce n'est pas la théologie qui vous intrigue mais toutes sortes de philosophies parmi les modernes, les Kierkegaard et Hegel ou encore Schopenhauer ou Nietzsche, voire les récents comme Heidegger, Bergson, Sartre et Cie, je ne saurais que trop vous conseiller de vous documenter en Thora convenablement avant d'entreprendre ces études, car il y aura toujours des idées contraires à la Thora parsemées de ci et de là, et si vous ne savez pas les détecter de vous-même, vous les ingurgiterez à votre insu.

L'étude même de la philosophie n'est pas autorisée selon tous, le Rashba (cf Shout Arashba I, §414-418) avait même promulgué un décret rabbinique interdisant l'étude de la philosophie avant l'âge de 25 ans et comportant un 'herem (excommunication) à l'encontre de tout contrevenant.

Même ceux qui permettent la philosophie indiquent qu'il convient de se remplir de Thora au préalable.

Je ne sais pas si on peut considérer que certains auteurs sont sans risques. C'est probablement le cas pour du Benny Lévy (ancien secrétaire de Sartre qui est devenu orthodoxe), mais malgré l'éventuelle kashrout propre à l'auteur, reste l'impact sur le lecteur qui n'est pas toujours lié.

Lévinas aussi était pratiquant - quoique moins classiquement que B. Lévy- mais ce n'est pas pour autant qu'il convient de lire ses idées avant de lire celles des 'hazal.

Pour la question 2)
la Sagesse grecque désignera bien sûr la philosophie pour certains adversaires de cette dernière, mais le Rivash (§45) écrira que c'est un langage codé, c'est aussi ce qui ressort de Rashi Sotah (49b) et Mena'hot (64b)

Je m'aperçois qu'il est plus tard que ce que je ne le pensais, j'ai encore beaucoup à faire pour ce soir, je n'ai pas la force de me relire, j'espère que vous trouverez celle de me lire, ainsi vous verrez ces derniers mots: je m'excuse donc pour les fautes qui auraient éventuellement pu être détectées par une relecture.
natounou
Messages: 6
Chalom,

3 questions:

1.
Je sais que le Gaon de Vilna n'aimait pas la philo, mais j'ai également vu qu'il l'autorisait à raison de 2 mn par jour
(on sait que son temps était extrêmement compté...)
avez-vous d'autres informations dans ce sens ?


...
Rav Binyamin Wattenberg
Messages: 6339
Je répète souvent qu'il faut SEPARER les questions (sans quoi c'est trop long et on retrouve encore moins bien les sujets) mais ça ne suffit pas, alors je tente une méthode un peu plus brutale, désolé:
Je ne vais répondre qu'à la première question et je vous prie de poser les deux autres en deux autres endroits séparément. Merci.


Citation:
Je sais que le Gaon de Vilna n'aimait pas la philo, mais j'ai également vu qu'il l'autorisait à raison de 2 mn par jour
(on sait que son temps était extrêmement compté...)
avez-vous d'autres informations dans ce sens ?

Je ne connais pas cette idée de "2 minutes quotidiennes de philo" et elle m’a tout l’air falsifiée.

Le Gaon n’aimait pas du tout la philosophie et se prononçait contre avec virulence.

Toutefois le 2 (de 2 minutes) me fait penser à autre chose : dans la préface du Peat Ashoul’han de rav Israel de Shklov, il est dit que le Gaon de Vilna n’a trouvé que 2 choses positives dans la philosophie (voir son commentaire sur Yeshaya XI, 1).

Peut-être que « shnei dvarim » a ressemblé à « shnei regaïm » ou autre confusion qui serait à l’origine de cette histoire des deux minutes.

Dans les commentaires du Gaon de Vilna nous trouvons souvent ses critiques envers « les grecs », « les philosophes » et la philosophie.

Voir par exemple son commentaire sur le Sefer Yetsira (I, 8) et (X, 1)

Aderet Eliahou sur Bereshit (I, 6) et (IV, 17)


Voir encore dans Aliyot Eliahou (Maalot Assoulam 12b)

Et surtout, ce qu’il écrit (Biour Agra Yoré Déa §179, sk.13) que le Rambam a été « entraîné après la philosophie maudite ».

Cependant, sous sa plume, le terme « philosophe » semble souvent remplacer « scientifique » et « philosophie » veut dire « science ».

Concernant cette critique acerbe du Rambam, il faut savoir que dans le Kiria Néémana (p.160 -Vilna 1915) est reproduite une lettre de Rav Katznelnboygen qui témoigne avoir entendu du grand rav Menashé de Ilia que cette phrase n’a pas été écrite par le Gaon, mais par quelqu’un d’autre qui l’aurait glissée dans le manuscrit du Gaon et rav Menashé savait de qui il s’agissait.

Mais ce témoignage est férocement contredit dans les notes sur le Aliyot Eliahou (Maalot Assoulam 13a), voir aussi Yeshouroun (XX, p.735-6) qui amène des arguments assez convaincants, voir encore Ali’hot Olam (VII, p.210 dans la note).
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