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Pouvez-vous nous expliquer svp en quoi Chadal était critiqué au niveau de ses hashkafot et de son respect de la halakha ?
Disons d’emblée que
Shadal n’était pas un rabbin mais un linguiste, philologue, poète, grammairien, traducteur et vaguement philosophe.
Il était très versé en grammaire biblique et dans l’étude de la Bible, mais bien qu’ayant survolé le Talmud, il n’en avait pas une connaissance/compréhension digne d’un Talmid ‘Hakham.
De plus, certaines de ses Hashkafot l’écartent du courant classique.
Par exemple, au sujet du commentaire du
Ibn Ezra sur l’interdit de rasage des Péot (qu’il ne s’applique que lorsqu’il est corrélé à un deuil),
Shadal écrit clairement que ce n’est pas la halakha retenue par le Talmud, mais il déclare pour sa part y adhérer Halakha Lemaassé, sans pour autant être Moré Halakha ainsi aux autres
(Igrot Shadal §83, p.246).
Dans les faits, il ne se rasait pas du tout les péot, il avait même les pattes (favoris), mais il estimait que la Torah n’interdisait pas le rasage des péot -tant que ce n’est pas une manifestation de deuil.
Ce qui le motivait, c’est que la lecture des versets semble l’indiquer, en fonction du contexte.
Mais cela signifie oublier -ou minimiser- la réalité de la Torah orale, voilà en quoi ses Hashkafot n’étaient pas mainstream, il n’acceptait pas totalement l’autorité halakhique du Talmud.
Aussi, ses positions ne sont pas toujours en pleine adéquation avec les 13 Ikarim du
Rambam.
Plus encore, il critique de manière acerbe des Rishonim et de grands A’haronim, et je ne parle pas d’analyses critiques respectueuses, mais bien de critiques irrespectueuses, sans déférence, sans considération.
Un autre élément en sa défaveur, est qu’il était souvent très sûr de lui, et parfois à tort, comme pour sa position extrême concernant la paternité du Sefer de Kohélet dans la Bible ; Il décrète que Kohélet n’a pas été écrit par Shlomo (cf.
Igrot §461, p.1094 et
Epistolario p.465), et 30 ans après il se rend compte qu’il s’est trompé, et revient sur sa position
(Epistolario p.990).
Il est très honnête intellectuellement, il est Emet, donc il changera d’avis s’il estime qu’il s’est trompé, mais sa décision à propos de Kohélet avait été prise un peu à l’emporte-pièce et, surtout, c’est certes très bien qu’il ait reconnu son erreur
(au bout de 30 ans -durant lesquels il a formé des élèves et leur a enseigné cette idée parmi d’autres tout autant erronées), mais il aurait pu ne pas s'en rendre compte, il aurait pu mourir avant.
Il faut savoir être respectueux dans anciens et surtout faire preuve de pondération avant de « pondre » de telles énormités.
Shadal n'était pas toujours assez circonspect et précautionneux avant de décider de bousculer des repères bien établis.
Dans la même veine, il a décrété, contre son père, et à 13 ans seulement, que le
Zohar n'était pas authentique (cf.
Epistolario p.465).
C'est trop brutal. Les Sages disent הוו מתונים בדין.
C’est ce qui constitue les prémisses de son
Vikoua’h Al ‘Hokhmat Hakabbala. Ce livre a suscité une levée de boucliers, plusieurs ouvrages sont consacrés à la réponse à son
Vikoua’h.
Bref,
Shadal c'est bien, mais il faut savoir faire le tri, il manque parfois de A'hariout (responsabilité au niveau spirituel), c’est un peu comme certains chercheurs plus tardifs.
Plusieurs Maskilim et Rabanim (comme
Shir) entretenaient avec lui une relation épistolaire.
C'était un savant, il lisait l'hébreu, l'araméen, l'allemand, l'italien, le français et le latin. Il avait aussi des connaissances en grec (et peut-être un peu en anglais).
Il étudiait beaucoup la Bible, la grammaire et c'était un grand linguiste, avec une féroce recherche du Emet.
Dès son jeune âge, à 14 ans, il perd sa mère et se voit tenu de la remplacer pour les tâches ménagères, tout en aidant aussi son père au travail.
Plus tard, il a été pauvre et a souffert, il a perdu (au moins) 3 enfants, dont deux à un âge "avancé" (son fils
Ohev-Guer (Philoxène) à 24 ans et sa fille
Marianne à 18 ans). Les deux étaient très brillants.
Il a perdu sa première femme aussi (et s'est remarié).
Il ne s'intéressait qu'à ses études, peu importe la pauvreté, l’adversité, la précarité...
Il avait un grand besoin de reconnaissance, une très grande estime de lui et de ses travaux.
Dans ses lettres, j’ai remarqué que lorsqu’il parle de lui à la 3ème personne en se nommant
Shadal, c’est qu’il est très fier de lui-même. (pas lorsqu’il écrit
Shadal à la 1ère personne 'אני שד"ל וכו).
Pour lui, il était très important de positionner les gens "tu es mon ami" / "tu n'es pas mon ami".
Il y a ceux qu'il aime et ceux "qu'il n'aime pas!", même parmi les Mefarshim et anciens rabanim morts bien avant son siècle, il insiste pour dire j'aime untel (
R.Y Halévi, ou
Rashi) et dire je n'aime pas untel! (
Rambam, Ibn Ezra, R. E. Ba'hour...), alors que d'autres auteurs se contenteront de souligner les aspects positifs ou négatifs des anciens, lui traduit ça en amitié, il est très extrémiste dans ce domaine
(soit untel est "méprisable", soit il est "génial et fabuleux"), il n'y a pas trop de demi-mesure dans son jugement.
Ça l'a amené à se disputer pour peu de choses avec pas mal de monde.
Il écrit à
Geiger qu'il n'est pas encore "son ami", que ça se mérite etc. Puis il devient "son ami" et le lui écrit dans chaque lettre.
Puis il lui déclare la guerre
(parce que Geiger a dit quelque chose contre une des positions de Shadal) et ne lui parle plus ni ne lui écrit de lettre.
Idem avec
Shir, grand ami, puis c’est la guerre, puis ils ont fait la paix et on voit bien que tout ça se déroule essentiellement dans la tête de
Shadal, mais
Shir était bien plus calme et serein.
Shadal avait un problème avec ça (être "ami" ou "pas ami").
(je ne vais pas jouer au psychologue en herbe, je laisse ce soin au lecteur 😊)
Certains lui reprochent aussi son caractère difficile et ses positions versatiles, voire même un double discours
(ce qui ne correspond pas tout à fait au personnage), voir
Eshtadlout Im Shadal (§20, p.39-40 dans la note).
Ou encore de plagier d’autres auteurs (cf.
Eshtadlout Im Shadal §27,32,33,34,40,46,49,50,87,151,155 et 156).
Mais ses recherches sont très riches et son dévouement pour la 'hokhma est remarquable, même s'il avait peut-être un statut de Kofer au niveau halakhique retenu de nos jours, comme sa Kfira dans des Ikarei Haémouna, peut-être même dans Skhar Veonesh. Voilà pourquoi il n’est pas en odeur de sainteté parmi les rabanim traditionnels.
Néanmoins, avant de critiquer
Shadal, il faut être conscient de son dévouement extrême pour la Torah, c’était un grand défenseur du judaïsme rabbinique classique et traditionnel, il défendait le Talmud et les ‘Hazal, contre les attaques des savants non-juifs et surtout contre celles des savants juifs de la Haskala.
C’est ce qui lui a valu cette place ambiguë entre les orthodoxes et les réformés, les premiers le trouvait trop libéral et les derniers trop conservateur.
Dans les faits, il pratiquait le judaïsme selon la Halakha, mais avait des Hashkafot déviantes des Ikarim du
Rambam (bien qu’il pût peut-être toujours s’inscrire dans le respect des Ikarim du
Albo). Ça en fait en ‘hakham mi-maskil mi-traditionnel, on ne peut pas accepter que son judaïsme puisse servir de boussole aux juifs soucieux de préserver la tradition selon l’esprit rabbinique.