Citation:
Bonjour Rav Wattenberg
Il y a grosse agitation ces derniers jours à propos de l’horaire de la fin du jeune de Tisha Beav
Il y aurait un psak de RIY qui autoriserait à finir le jeûne plus tôt mais apparemment cela ne fait pas l’unanimité, mais au contraire (cf communiqué du consistoire).
Pouvez vous nous expliquer la mahloket, de quoi s’agit il ?
Qu’en pensez vous d’un point de vue halakhique et hashkafique ?
Merci par avance de votre éclairage
Rav Its’hak Yossef a déjà publié ce Psak il y a longtemps, une quinzaine d’années je crois.
Tous les Poskim classiques y sont opposés.
Son frère
Rav David Yossef (actuel grand rabbin d’Israël) s’y oppose aussi et soutient que ce n’était pas l’avis de leur père
Rav Ovadia Yossef.
Cette idée de considérer la nuit à partir de 13,5 minutes après la Shkia ne concerne que les pays, comme Israël, où la nuit tombe très vite après la coucher du soleil.
Il suffit d’ouvrir les yeux pour constater que 13 minutes après la Shkia, en France, il fait plein jour, on ne voit pas les étoiles.
La Halakha est que la fin du jeûne a lieu lorsqu’on voit 3 étoiles (cf.
Shoul’han Aroukh o’’h §562,1 et MB ad loc. sk.1). Le
Shoul’han Aroukh écrit : כל תענית שלא שקעה עליו חמה דהיינו שלא השלימו עד צאת הכוכבים אינו תענית
Il faut comprendre qu’il est relativement récent que chaque juif dispose d’une montre et d’un calendrier indiquant les horaires du Taanit à la minute près.
Durant des siècles, nos ancêtres, dans tous les pays et en France aussi, se repéraient par rapport aux étoiles que ce soit pour le Motsaei Shabbat chaque semaine ou pour la fin des jeûnes
(selon les Rishonim qui tranchent que la fin des jeûnes est à Tset Hakokhavim, ce qui est la halakha).
Pensez-vous franchement que les juifs qui habitaient en France il y a 200 ou 300 ans terminaient le jeûne 13,5 minutes après le coucher du soleil ??
Come on ! A cette heure là il fait plein jour !
Il n’y a pas de doute, les juifs qui habitaient en France et qui suivaient l’avis du
Shoul’han Aroukh ne suivaient pas l’avis de
Rav Its’hak Yossef et lui auraient probablement ri au nez s’il leur avait dit «
mais si ! je vous dis qu’il fait nuit ! ».
Nous avons donc trois « Amoudei Halakha » : le bon sens, le Minhag, et l’écrasante majorité des Poskim, qui tous s’opposent à cette Koula.
Rav Its’hak Yossef a raison qu’il s’agit d’un jeûne Miderabanan et qu’il convient d’être Meikel, mais il ne convient pas d’appliquer des Koulot inapplicables à la réalité astronomique vue de France, c’est absurde de dire qu’il fait nuit 13,5 ou même 20 minutes après la Shkia à Paris.
Même si des textes de Rishonim (
Rabénou Yona cité dans le
Rosh Shabbat fin de pérek 2) parlent de terminer un Taanit après la Shkia, à Bein Hashmashot, et donc avant la nuit noire et les trois étoiles, ce n’est pas la halakha retenue.
[Et même si l’on veut voir une source à cela dans le Rambam qui n’a pas rapporté la halakha qui dit qu’« un Taanit qui ne va pas jusqu’à la sortie des étoiles n’est pas un Taanit », il ne faut pas oublier que le Shoul’han Aroukh, lui, l’a rapportée et que même le Rambam n’accepterait pas cela pour Tisha Beav (au sujet duquel il écrit que son Bein Hashmashot est Assour, cf. Psa’him 54b).]
Je ne sais pas comment justifier la position de
R. Its’hak Yossef (mais je ne suis pas le seul à ne pas en être capable) et j’ai le sentiment qu’il convient de suivre la majorité des Poskim qui s’opposent à sa Koula, d’autant que son Psak vient aussi s’opposer au Minhag depuis toujours (ainsi qu’au bon sens comme expliqué plus haut).
La fin du Taanit, à Paris, cette année, le 3 août 2025, est annoncée (selon le calendrier de Rav Rottenberg) à 22h12.
Pour ne pas que mon message paraisse accablant et à charge contre
Rav Its’hak Yossef (bien qu’il le soit d’une certaine manière, je le reconnais), je tiens à souligner un point sur lequel je partage son avis à l’encontre de plusieurs Rabanim français.
Il s’agit de l’heure du DEBUT des Taaniot, lorsqu’ils débutent le matin
(ce qui exclut Tisha Beav et Yom kippour qui commencent la veille au soir).
Si vous suivez les calendriers français
(celui de Rav Rottenberg inclus), vous verrez différents horaires de début de Taanit qui, eux aussi, ne correspondent pas du tout à la réalité astronomique telle que perçue depuis la France.
Par exemple, pour le 17 Tamouz passé, les calendriers indiquaient des horaires variant de 3h33 à 4h01
(horaire de Rav Rottenberg). Tandis que l’horaire indiqué par
Rav Its’hak Yossef (et pour le coup par son père Rav Ovadia Yossef aussi) était 4h26.
Pour le 10 Tévet l’écart était encore plus notable : 6h59 ou 7h11
(horaire de Rav Rottenberg), alors que selon
Rav Its’hak Yossef : 7h50.
Il est établi que le Taanit commence à l’aube, Alot Hasha’har (Cf.
Taanit 12a et
Shoul’han Aroukh o’’h §564,1), et seules quelques petites minutes au mieux séparent ce moment de l’heure du début des Tfilines.
Or, vous constaterez que c’est l’heure des Rabanim Yossef qui se trouve quelques minutes avant l’heure du début des Tfilines qui, elle, est plus ou moins unanime.
En d’autres termes, un Taanit n’est pas supposé commencer 30 ou 45 minutes avant l’heure de début des Tfilines.
La raison pour laquelle les jeûnes commencent si tôt dans les calendriers dont nous parlons, c’est parce qu’il y a différentes Shitot sur la manière idoine de calculer le Alot Hasha’har, et ces responsables (des calendriers) se disent qu’en raison des différentes Shitot, il convient de suivre une opinion qui serait valable pour tous (autrement dit, suivre la ‘Houmra), surtout que ça ne mange pas de pain
(et que les gens ne sont généralement pas intéressés à se lever avant 3h33 ou 4h01 ou 4h26 pour manger avant le Taanit).
Mais là, pour le coup, je partage l’avis de
Rav Its’hak Yossef : pourquoi être Ma’hmir sur un Taanit derabanan ?
Et dans ce cas, concernant l’heure du début, l’argument de l’incohérence avec l’astronomie et faisant appel au bon sens se retourne et vient en faveur de
Rav Yossef ; Eh oui, il y a 200 ou 800 ans en France, un juif qui se levait en pleine nuit
(en ayant fait un Tnay la veille) ou qui n’avait pas dormi et voulait savoir si le jeûne avait déjà commencé, regardait par la fenêtre ou sortait dehors jeter un œil sur l’état du ciel, et s’il faisait nuit noire, sans savoir l’heure et sans avoir de calendrier, il mangeait !
Le
Shoul’han Aroukh (o’’h §564,1) dit clairement que l’on peut manger jusqu’à Amoud Hasha’har : אוכל ושותה עד שיעלה עמוד השחר, ces calendriers qui indiquent un horaire où il fait noir pour encore plus de 30 minutes correspondent à une ‘houmra lointaine et excessive qui n’était assurément pas respectée par nos ancêtres.
Ce qui signifie que le bon sens ET le minhag
(car TOUS les juifs ont toujours fait comme ça) sont du côté de
Rav Its’hak Yossef concernant l’heure du début des jeûnes
(lorsque c’est le matin), et contre le calendrier de
Rav Rottenberg et encore plus contre les autres calendriers qui font débuter les Taaniot encore plus tôt.
Je n’annonce pas ça en tant que Halakha à suivre, je ne veux pas venir chambouler les habitudes de chacun, mais je souligne qu’autant la position du
Rav Its’hak Yossef pour l’heure de fin de Taanit semble absurde et contraire au Minhag, la position des calendriers et Rabanim français pour l’heure de début de Taanit semble absurde et contraire au Minhag d’antan.
Ceci n’est pas un Psak mais une remarque, afin de ne pas donner l’impression de dénigrer
Rav Its’hak Yossef que je respecte sincèrement.
Pour ce qui est de la Halakha Lemaassé, savoir si l’on peut se baser sur l’horaire de
Rav Yossef pour le début des Taaniot, que chacun consulte le Rav de sa communauté en soulignant les deux aspects susmentionnés (réalité astronomique : il fait tout noir, et forcément, coutume des Rishonim qui n’avaient pas de montre au poignet).
Mais pour l’horaire de FIN de Taanit, comme on l’a dit, il ne convient pas de déroger au Psak habituel, fidèle au
Shoul’han Aroukh, corroboré par le Minhag depuis les Rishonim, soutenu par la majorité des Poskim et confirmé par le bon sens.