Citation:
Est-ce qu'il existe une source rabbinique à l'adage "Qui dort, dîne" ?
Une source qui serait formulée de la même manière, non, je ne le pense pas, mais nous trouvons une source qui mentionne la même idée ; il s’agit des
Pirkei deRabbi Eliezer (§12) qui dit אדם שוכב וישן והוא מזונו ורפואתו, c-à-d qu’en dormant, l’homme se nourrit et se guérit. Il y a donc bien l’idée selon laquelle « qui dort dîne ».
Le
Radal (§25) écrit à ce propos qu’en dormant, le corps se nourrit sans manger et ne ressent ni faiblesse ni faim
שבשינה גוף האדם ניזון בלא אכילה ואין מרגיש חלישות ורעבון מהעדר המאכל בזמן השינה
Et il ajoute pour preuve l’histoire de ‘Honi Hameaguel qui a dormi durant 70 ans sans manger et n’en est pas mort de faim, c’est bien parce que « qui dort dîne ».
ואף חוני המעגל שישן ע' שנה לא הרגיש תלישות ואפיסת הכחות מהעדר המאכל כל הזמן הרב ההוא
J’indiquerais au passage que le
Ben Ish ‘Haï dans son
Benayahou (Taanit 23a) considère qu’il serait impossible de survivre à un tel jeûne même en dormant, si ce n’est par l’intervention d’un miracle.
Il préfère suivre l’explication prônée par les Mefarshim
(qu’il ne nomme pas -et c’est bien dommage) qui expliquent que ce que la Gmara raconte à propos de ‘Honi qui aurait dormi 70 ans etc. est en fait le rêve que ‘Honi a fait : il s’est endormi et a rêvé qu’il se réveillait 70 ans plus tard et voyait le descendant de celui qui avait planté son caroubier (rencontré plus tôt), etc.
Mais en réalité, ‘Honi se serait réveillé après une courte sieste, sans connaitre tous les déboires décrits dans le Talmud par la suite.
Je ne sais pas qui sont ces Mefarshim, qui semblent pourtant être nombreux (sans quoi le
Ben Ish ‘Haï aurait mentionné nommément le concerné), mais j’ai trouvé un commentaire similaire et bien plus ancien, chez
Rabbi Refael Berdugo, dans son
Roka’h Mirka’hat (1ère édition, Paris 2006, II, p.44), pour qui il n’est pas compréhensible que ‘Honi ait pu vivre si longtemps sans manger ni boire, et penche pour dire que cette histoire se serait déroulée en rêve uniquement.
Néanmoins, il est peu probable que le
Ben Ish ‘Haï en ait eu connaissance, car le
Roka’h Mirka’hat n’avait pas encore été imprimé de son vivant et n’était qu’un manuscrit au Maroc.
La première édition date de fin 2006, à Paris, par les bons soins du
Dr Maury Amar et avec la bénédiction de
Rabbi Shalom Messas.
Il y a eu d’autres sages plus tardifs qui ont été dérangés par les mêmes questions, comme le grand
Rabbi ‘Houita Hacohen (Pir’hei Kehouna Taanit 23a) qui écrit qu’il n’est pas possible de ne pas manger pendant 70 ans et qu’on voit que la Torah relate comme un grand miracle le fait que Moshé s’en soit abstenu durant seulement quarante jours… C’est pourquoi il propose aussi une lecture qui consiste à dire que tout ceci fut un rêve.
Le
Sefer You’hassin (éd. Yerid Hasfarim 2004, p.21) laisse entendre l’éventualité que ce texte de la Gmara (sur ‘Honi) ne soit pas à prendre au pied de la lettre
(cela pourrait donc être un rêve, ou une parabole, etc.), c’est peut-être à lui que pensait le
Ben Ish ‘Haï, mais peu probable, car il ne parle pas explicitement de « rêve »
(et il aurait pu être désigné nommément).
Ce
sefer You’hassin cite le
Rashbats dans
Maguen Avot (III) qui écrirait qu’il est impossible de rester endormi des années sans manger.
Cependant, le
Rashbats écrit précisément l’inverse ! Il explique, à l’instar de ce que le fera le
Radal des siècles plus tard, qu’en dormant un homme peut rester des mois et des années sans manger, et c’est pourquoi ce qui s’est passé avec ‘Honi Hameaguel (dans
Taanit 23a) n’est pas à considérer comme un miracle, car c’est parfaitement en accord avec la nature.
Cette idée du
Rashbats se retrouve à deux endroits, dans son commentaire sur
Avot (V,21, daf 93a) et dans la partie philosophique de son
Maguen Avot (III, §4 -éd. Makhon Haktav, Jér. 2007, p.472).
Il écrit que c’est aussi ce qui explique le phénomène du jeûne de quarante jours de Moshé, bien qu’éveillé, il était tellement absorbé par le plaisir de l’étude qu’il ne ressentait plus les mouvements, et donc le temps n’avait pas d’influence sur lui.
[Il mentionne une théorie selon laquelle le temps (zman) dépend directement du mouvement (tnoua), et celui qui est en dehors du mouvement, se retrouve en dehors du temps -qui n’aura pas d’impact sur lui
(d’après cela, Moshé qui est mort le jour de ses 120 ans, avait un corps plus jeune de quarante jours 😊), car l'espace et le temps ne forment qu’une seule entité.
Il ne donne pas trop de détails sur l’origine de cette théorie
relative à ‘Honi, qui est, en
général,
restreinte à cette seule application, mais qui pourrait en avoir bien d’autres…]
Il me semble que l’on peut imaginer qu’il y ait une légère erreur de copiste dans le
Sefer You’hassin et à la place de שאי אפשר זה כפי הטבע il faudrait lire שאפשר זה כפי הטבע. Ainsi, il ne ferait pas dire au
Rashbats l’inverse de ce qu’il dit.
Quoi qu’il en soit,
Rabbi Yossef Messas (Otsar Hamikhtavim II, §1153) cite le
You’hassin et s’étonne de ce qu’il écrit au nom du
Rashbats qui se trouve être à l’exact opposé de la réalité (דברים הפוכים מן הקצה עד הקצה).
Il indique aussi que cette erreur du
You’hassin est soulignée par
Ribal dans
Beit Yehouda (p.129) (Je ne sais pas où ça se trouve, mais dans l’édition de Vilna 1858, il y a deux tomes et ce n’est ni dans l’un ni dans l’autre en page 129) et il explique que l’histoire de ‘Honi n’est pas à comprendre littéralement.
Rav Messas rapporte encore le
Péta’h Enaïm (Frizzi) (IV, daf 11a) qui explique que celui qui dort n’a pas besoin de manger et que nous voyons bien certains animaux qui hibernent.
Néanmoins, il termine tout de même en écrivant que s’il est plausible qu’un homme puisse, dans certaines conditions, dormir plusieurs mois sans manger, étendre cette durée, dans le cas de ‘Honi, à 70 ans semble être une exagération (Gouzma).