Nous parlons donc d’un cas où vous êtes en deuil d’un ami –et non d’un membre de votre famille.
Vous n’êtes pas « en Shiva », mais vous êtes sentimentalement affecté par le décès d’un ami et n’avez pas le cœur à participer à ce qui parait être à vos yeux plus une procession médiatique qu’une levaya.
Même si votre tristesse est grande, cela ne vous dispense pas de « marcher 4 amot » (Cf. Shoul’han Aroukh Y’’D §361, 3) (ou 2000 amot selon certains) pour participer à la levaya d’un autre juif qui passerait devant vous (même si ce n’est pas celle d’un Rav, tant qu’il n’y a pas « assez » de monde pour l’honorer).
Mais étant donné la date de votre question (en ce 12 décembre 2017), j’imagine que vous êtes en Israël et que vous parlez de la Levaya de Rav Steinman (où il y a certainement eu des participants "aucunement affectés" et même des paparazzis à la recherche de clichés qui se vendraient bien).
Un grand rav du type de Rav Steinman, est à considérer comme un Gadol Beïsrael et là, il ne convient plus de soucier qu’il y ait « assez » de monde, il faut au contraire y participer afin de marquer le Kavod dû à un grand homme de Torah (Cf. Ktouvot 17a-b), même au prix du Bitoul Torah personnel qui en découle indéniablement. (Cf. Shoul’han Aroukh Y’’D §361, 1)
Quand bien même vous ne seriez pas d’humeur, je pense qu’il faut participer au moins sur 4 amot afin de marquer le Kavod du défunt.
Et si vous avez le sentiment que certains s’y rendent sans être motivés par de nobles intentions, rien ne vous impose de les imiter, allez-y avec l’intention de faire du Kavod à la Torah et vous verrez qu’en ayant ce sentiment, vous n’y verrez plus vraiment d’interférence avec votre peine au sujet de votre ami.
Si votre ami était vertueux, les deux devraient converger dans un seul et unique sens, car le respect pour la Torah, c’est aussi et surtout le respect des bonnes Midot qu’incarne l’homme de Torah.
Quant à ce que vous demandez si vous devriez vous sentir « coupable » de ne pas être « touché » par le décès du Rav, ce ne sont peut-être pas les termes que j’aurais choisis, mais l’idée est que la perte d’un ‘hakham batorah doit nous peser -si l’on conçoit bien le rôle du ‘hakham.
La Gmara (Brakhot 12b) dit même de celui qui refuse de prier pour un malade qu’il est considéré comme un fauteur et si le malade est un Talmid ‘Hakham, l’obligation de prier à son sujet est telle qu’il faudrait intensifier les prières au point d’en tomber malade soi-même !
כל שאפשר לו לבקש רחמים על חבירו ואינו מבקש נקרא חוטא
אמר רבא אם תלמיד חכם הוא צריך שיחלה עצמו עליו
L’expression est certainement une exagérée, il ne s’agît pas de tomber malade, mais de « souffrir » du désarroi du Talmid ‘Hakham et de s’en attrister/endeuiller.
C’est –du moins- ainsi qu’elle est généralement comprise, voir par exemple le Iyoun Yaakov (Brakhot 12b) et Rashi (Vayikra X, 6)
(même si le Maharsha propose d’expliquer que la prière doive être dans le sens de demander à D.ieu de diriger la maladie sur nous-mêmes plutôt que sur le Talmid ‘Hakham !).
Le ‘Hatam Sofer (Shout O’’H §166) explique que cette tournure signifie que l’on doive prier comme si nous étions nous-mêmes malades.
Quelle que soit l’interprétation que l’on choisisse, il n’en demeure pas moins évident qu’il y ait lieu de se soucier tout particulièrement de la santé du Talmid ‘Hakham, ce qui indique que son décès devrait nous préoccuper.
Cependant, certaines explications (cf. Parshat Mordekhai sur Ein Yaakov Brakhot 12b) précisent que la Gmara ne parle que d’un Talmid ‘Hakham que l’on connait, avec qui on a un quelconque lien.
Cela ne nous engage pas vis-à-vis d’un grand érudit qui nous est étranger.
Toutefois, en ce qui concerne les grands rabanim de la génération (dont rav Steinman faisait assurément partie), il y a lieu de penser qu’ils aient une certaine influence sur chacun de nous et un certain lien avec chacun de nous de par leur influence sur les directions prises par le judaïsme orthodoxe (pour Rav Steinman, essentiellement durant les 16 dernières années).
Puisque nous parlons de ce sujet, j’ajoute un point :
Je déplore l’expression habituellement consacrée en Israël lors du décès d’un grand Rav qui invite le peuple à pleurer la disparition du Rav, qualifiée de « Sreifa » -en ces termes : 'כל בית ישראל יבכו את השרפה אשר שרף ה (cf. Vayikra X, 6).
Je ne sais pas si c’est encore l’usage en Israël de nos jours, ça l’était il y a 30 ans, je suppose que ça n’a pas changé.
Je trouve cela inadapté, cette expression fait référence au décès des deux fils d’Aharon qui ont réellement été brûlés (Sreifa) et qui sont –en tout cas, morts « trop » jeunes.
Lorsqu’un rav décède à 104 ans, je ne pense pas qu’il convienne de parler d’une Sreifa.
Il convient certes de pleurer sa perte, mais pas au titre de Sreifa qui laisse entendre une mort prématurée.
Baroukh Hashem, plusieurs grands Rabanim dépassent les 90 ans et certains même la barre des 100 ans (Rav Shakh, Rav Elyashiv, Rav Wozner, Rav Steinman…), dans ces cas, il faut réaliser la perte pour le judaïsme et s’en attrister, mais on ne devrait pas (à mon sens) parler de « Sreifa ».