A
Ariel.s :
Citation:
Je me permets de vous relancer au sujet de cette question restée en suspens depuis près de dix ans. En tant que Strasbourgeois, la réponse m’intéresse et me concerne particulièrement. Bien que je n’aie pas eu le mérite de connaître personnellement le Rav, je suis tout de même curieux d’en apprendre davantage sur son parcours, sa renommée auprès du olam haTorah, ainsi que de savoir si certains de ses ouvrages sont encore édités aujourd’hui.
Dans l’attente de votre réponse, je vous souhaite Chana Tova OuMevorekhet.
Bon, au moins vous précisez un peu plus votre question que celle de 2016.
Et comme hier soir, à Alef, quelqu’un m’a demandé d’écrire une biographie de
Rav Guedalia Nadel (je lui ai répondu que ça serait bien, mais que je dois aussi écrire beaucoup d’autres livres et je suis toujours pris et débordé, hélas...), sans vous détailler sa vie, je vous livre des éléments liés à ce que vous demandez, comme ça, au moins, j'aurais mis par écrit ces informations :
Né en Lituanie en 1923
(je n’ai jamais su sa date précise, je ne sais pas s’il la connaissait lui-même. Probablement. Je pourrais demander ça à son fils.), il fait sa Aliya, après sa Bar Mitsva
(il m’a dit qu’il était devenu Bar Mitsva encore en Lituanie, je ne sais pas s’ils sont partis juste après ou quelques mois après, mais je ne crois pas qu’il ait fait ses 15 ou 16 ans en Lituanie), avec ses parents et s’installent dans un Moshav dans le Nord d’Israël.
Son père l’envoie étudier à la Yeshivat Hayishouv Ha’hadash, qui ouvrait à cette époque à Tel Aviv, Yeshiva fondée, je crois par
Rav Moshé Avigdor Amiel, grand rabbin de Tel-Aviv
(et ancien rav d’Anvers, à la même époque que Rav Mordekhaï Rottenberg (grand-père de l’actuel). Je sais que son fils, mon Rav, Rav ‘Haïm Yaakov Rottenberg (za’’l) ne l’appréciait pas, Rav Amiel avait un lien avec le Mizra’hi).
Le Rosh Yeshiva était
Reb Reouven Tropp (fils de reb Naftoli Tropp) et le Mashguia’h était
Reb Yoel Kluft (le fameux Rav de ‘Haïfa).
Bien que fondée par un Rav attaché au Mizra’hi, les Rabanim étaient de purs fruits des Yeshivot orthodoxes classiques et la Yeshiva était aussi « dirigée à distance » ou « conseillée » par
R. Isser Zalman Meltzer et
Rav Hersh Pessa’h Frank.
Rav Guedalia (ayant à peu près 14-15 ans) allait les vendredis parler belimoud et visiter le
‘Hazon Ish (qui avait plus de 60 ans) qui était très impressionné par le jeune homme.
(Il a pu y aller grâce à Rav Yehoshoua Yogel qui enseignait à la Yeshivat Hayishouv Ha’hadash, c’était un ancien élève de Reb Aharon Kotler à Kletzk, il n’avait que 7 ans de plus que Rav Guedalia et il avait un bon Kesher avec le ‘Hazon Ish, c’est lui qui amenait le jeune rav Guedalia les vendredis chez le ‘Hazon Ish.
Rav Yogel était un Talmid ‘Hakham qui se rasait la barbe, sur demande du ‘Hazon Ish !
Car il dirigeait une institution -Midrashia- qui mêlait ‘Hol et Kodesh, que le ‘Hazon Ish lui a dit qu’il ne fallait pas appeler « Yeshiva » et lui a dit de continuer à se raser la barbe pour ne pas que les élèves le considèrent comme un ‘Harédi et hésitent à s’inscrire dans son établissement.
Il est Niftar à ‘Hanouka en décembre 2006, à 90 ans).
Puis,
Rav Guedalia, sur conseil du
‘Hazon Ish, est allé étudier à Peta’h Tikva à la Yeshivat Lomzhé, où
Rav Shakh enseignait
(il y enseignait jusqu’en 1947, puis il a été appelé à la direction de Ponovez aux côtés de Rav Rozovsky -lui aussi enseignait avant cela à Lomzhé- et de Rav Povarsky -qui lui, enseignait avant cela à la Yeshiva Tomkhei Tmimim de Tel-Aviv).
Un de ses Rabanim
(ou alors son futur beau-père ?) s’inquiétait du fait que le jeune
Rav Guedalia s’intéressait aussi aux sciences séculières et craignait qu’il file un mauvais coton.
En allant faire part de cette inquiétude au
‘Hazon Ish, ce dernier lui aurait répondu qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter pour ce jeune
Rav Guedalia dont l’esprit et les capacités lui permettent d’englober tout ça sans dévier.
Après son mariage (avec
Sarah Ra’hel Weiner), ils s’installent à Jérusalem où il se rapproche du
Brisker Rov et de
Reb Shimshon Aharon Polonsky (connu comme le Ilouy ou le Rav de Teplyk).
Puis, ils s’installent définitivement à Bnei Brak.
Là,
Rav Guedalia étudie à Yehud et part étudier pour des périodes alors que sa femme l’attend à Bnei Brak. Il rentre pour le Shabbat ou au bout de quelques semaines.
Elève très proche et très apprécié du
‘Hazon Ish, ce dernier le nomme Rav du Shikoun ‘Hazon Ish (le quartier où il habitait, Re’hov Rashbam et alentours).
Il est un des rares
(ou le seul ?) à qui le ‘Hazon Ish a dit que si sa compréhension d’une souguia le mène à un Psak différent du sien
(de celui du ‘Hazon Ish), qu’il suive son psak
(celui de Rav Guedalia et non celui du ‘Hazon Ish).
Des années après le décès du
‘Hazon Ish, lorsqu’on venait poser une question Halakhique au
Steipler et qu’il ne savait pas répondre, il envoyait poser la question au
rav Nadel (plus jeune que lui de 24 ans).
Le
Steipler (qui habitait Re’hov Rashbam) disait que
"le Rav ici c’est Rav Guedalia".
Rav Guedalia a été Maguid Shiour à la Yeshiva de Vizhnits une période
(il a été choisi bien que Litvak, car le Rebbe voyait en lui une incarnation du Kotzker Rebbe qui était très critique, qui ne supportait pas les ‘hassidim foufous et qui était prêt à sacrifier tout son confort pour le Emet), puis a démissionné après avoir été ‘Holek sur le Rebbe !
Il a finalement été nommé Rosh Kollel ‘Hazon Ish (et l’est resté jusqu’à son décès en 2004).
Mais sa Parnassa ne lui venait pas du kollel, il travaillait en parallèle de son limoud.
Depuis son mariage, il refusait de toucher la bourse du kollel et travaillait.
Il a fait des choses étranges pour cela, il a même goudronné les routes israéliennes sous 38°C avec des collègues Arabes.
Il a vendu du miel, des œufs, des produits détergents, mais son meilleur gagne-pain était dans le vin.
Il donnait des cours chez lui à la maison (au bout de Re’hov Rashbam, plus ou moins en-dessous de chez
Rav ‘Haïm Kanievsky) et aussi dans la synagogue la plus proche « Lederman ».
Un grand tournant a lieu en 1967, son épouse décède lors d’un accouchement et les médecins (de Tel Hashomer) lui volent son cœur pour des analyses.
Rav Nadel se bat pour le récupérer et arrive finalement à la faire enterrer avec son cœur.
On dit que depuis cet épisode traumatisant,
Rav Guedalia est devenu plus dur et plus extrémiste dans ses idées.
Je ne l’ai pas connu avant, mais j’imagine qu’il y a du vrai.
Son petit-fils m’a plus ou moins confirmé ce changement lié à cette date.
Mais ce qui se dit dans la famille c’est qu’il était tout autant extrémiste dans ses idées avant cela, seulement sa femme le tempérait
(ça ne sera pas le seul rabbin dont les aspects extrêmes se voient relativisés et tempérés par sa femme).
Rav Nadel (a 44 ans et) refuse de se remarier, considérant que sa femme est irremplaçable.
Il s’occupe donc de ses 9 enfants (aucun n’est marié, ils vivent tous avec lui).
Il dénotait pas mal dans Bnei Brak par ses Déot et Hashkafot, mais personne n’osait le mettre en ‘Hérem.
Le
Steipler le considérait comme un Gadol en dépit de son jeune âge
(il lui est même arrivé d’aller en personne toquer à la porte de Rav Guedalia pour le questionner sur des souguiot difficiles de Shviit), de ce fait, même après le décès du
Steipler (1985), personne n’a osé mettre
Rav Guedalia en ‘Hérem.
Lorsque
Mme Nadel est décédée,
Rav Shakh (lui aussi nettement plus vieux que Rav Guedalia qui avait été son élève à Lomzhé) se déplaça en personne pour aller faire Ni’houm Avélim.
Malgré tout, durant ses trois dernières décennies,
rav Nadel était plus ou moins mis au ban de manière officieuse de la société ‘Harédit israélienne, les jeunes le critiquaient, les plus âgés s’en écartaient.
Seuls les vieux Talmidei ‘Hakhamim savaient qu’ils avaient là un Gaon hors pair.
A l’époque où j’allais étudier chez lui, à la maison, avant de le faire de manière fixe, j’en avais parlé avec le jeune Mashguia’h de Ponovez,
Rav Eliezer Guinsburg za’’l
(ils étaient deux mashgui’him dits « ktanim », lui et Rav Aharon Grossbard, il n’y avait pas de « grand Mashguia’h »), pour lui demander ce qu’il en pensait.
Il m’avait dit que beaucoup le critiquaient, mais que si j’avais cette opportunité, il fallait que je lui donne une semaine et qu’il allait se renseigner auprès de Gdolim pour savoir quoi m’indiquer.
J’ai patienté une semaine et suis retourné le voir.
Il m’a dit
(à peu près dans ces mots, je ne les a pas notés):
Tu peux y aller, tout ce qui se dit contre lui sont des âneries de personnes qui ne le comprennent pas et ne lui arrivent pas à la cheville.
Les vrais Gdolei Israel le tiennent en très haute estime, seulement, parfois, on peut ne pas le comprendre et on risque de sortir très perturbé par ce qu’il aurait dit, si cela arrive, viens me voir et on en parlera.
Mais attention : ne dit à personne que je t’ai autorisé à y aller, car je crains les représailles de ces mêmes virulents « qui ne lui arrivent pas à la cheville ».
Si je me permets de vous dévoiler ce scoop aujourd’hui, c’est parce que, des années plus tard, lors d’un passage en Israël pour le mariage d’un neveu, je suis allé saluer le
Rav Guinsburg et lui ai demandé s’il se souvenait de cette discussion que nous avions eue et si le fait que plus de deux décennies se soient écoulées depuis
(et qu’il soit devenu Mashguia’h gadol de Ponovez et qu’il soit un peu plus âgé qu’à l’époque) m’autorisait à dévoiler l’information.
Il m’a tout de suite dit qu’il s’en rappelait très bien et m’a autorisé à le dire.
[Depuis, ce Rav Guinsburg est Niftar, en 2017, le 18 Eloul.]
Son Derekh Limoud était imprégné et marqué par le
‘Hazon Ish, et il s’intéressait aussi beaucoup à la Hashkafa et au ‘Houmash. Cela ne l’empêchait pas d’être très « o’hez » du Sefer de
Reb ‘Haïm (Brisker) sur le Rambam
(il disait que personne ne le comprenait convenablement, une fois il est allé jusqu’à dire que tous se trompaient dans leur façon de comprendre Reb ‘Haïm et qu’il était le seul à la comprendre, et que Reb ‘Haïm n'avait finalement écrit son Sefer que pour lui -pour R. Guedalia ! 😊).
Rav Guedalia n’a publié aucun livre, il y avait des notes qui circulaient pour les intimes dans les années 80-90.
Le premier ouvrage imprimé officiellement, c’est le
‘Hidoushei Reb Guedalia, publié en deux tomes en 2001 par des élèves
(il y a eu une réédition ultérieure en trois tomes).
Il s’agit de ‘Hidoushim écrits des décennies avant, lorsque
Rav Guedalia était bien plus jeune, il avait mis ces cahiers à la Gniza et des élèves les y avaient récupérés et se les passaient de main en main pendant des années.
Rav Guedalia ne voulait pas qu’on les imprime, mais finalement, en 2001, il aurait donné son accord.
A l’époque j’habitais déjà depuis des années aux Etats-Unis, je n'ai pas suivi les évènements autour de l'impression de ces livres, son petit-fils m’avait envoyé ces deux gros tomes par la poste
(internet et les emails n’avaient pas encore appauvri la poste et elle ne coûtait pas si cher à cette époque, aujourd’hui il faudrait payer en timbres plus que le prix des livres).
Il y a aussi le fameux
Betorato Shel R. Guedalia, édité par
R. Its’hak Sheilat juste après le décès du rav en 2004 (mais avec son accord).
(Il y a aussi un Sefer,
Milei Dehespeida, recueil de Hespédim sur
rav Guedalia.)
Au décès de
Rav Guedalia, Rav Nissim Karélitz, connu pour ses Hespédim très brefs et pour peser chaque mot, a cité le
‘Hayei Adam qui a dit sur le
Gaon de Vilna qu’en dépit du Psak du
Rama (Y’’D §243,2) selon lequel, de nos jours, il n’y a plus le Din de Talmid ‘hakham
(car pour cela il faudrait vraiment un niveau exceptionnel que plus personne n’atteint), on peut dire que le
Gaon de Vilna fait exception.
Suite à cela,
Rav Nissim Karélitz a ajouté, que pour notre génération, on peut en dire autant concernant
Rav Nadel.
Bon, je n’ai franchement pas le sentiment de m’être acquitté de la tâche, celui qui me lit mais ne l’a pas connu va encore passer à côté de pans énormes de sa personnalité…
Un des points auxquels je pense : sa cohérence. Il était cohérent avec lui-même, cohérent dans son limoud, dans sa Avodat Hashem, tout était sensé, profond, réfléchi, rien n’était laissé au hasard
(ce point se trouvait aussi chez le ‘Hazon Ish, ne rien laisser au hasard, creuser la souguia jusqu’au bout). Il était cartésien et conscient du réel (pas comme certains qui vivent sur leur planète et font fi de la réalité dans leurs idées ou leurs positions).
Cette cohérence allait de pair avec son honnêteté intellectuelle et sa haine de l’hypocrisie et du « cinéma ». Il n’y avait rien de « surfait » chez lui, tout était Emet.
Il était terriblement détaché de la Gashmiout [la seule bizarrerie à mes yeux sur ce point c’est qu’il m’a dit que le
‘Hazon Ish était beaucoup plus détaché que lui de la Gashmiout et je n’arrive pas trop à concevoir ce que peut signifier "plus" détaché que cela
(si ce n’est en vivant dans la jungle et en broutant de l’herbe)].