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Définition précise de "Limoud Torah" ?

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Betsa24
Messages: 4
Bonjour Rav Wattenberg, et merci pour vos réponses érudites et instructives qui m'ont beaucoup éclairé depuis que je vous lis !

Ma question concerne l'existence d'une définition halakhique des sfarim et des lectures qui sont considérés comme du "Limoud Torah". Evidemment il n'y a pas de question lorsque quelqu'un étudie une page de guemara, des commentateurs du talmud ou du 'houmash-rashi, mais dès que l'on s'éloigne un peu du noyau "canonique" de la tradition et des auteurs unanimement reconnus, où place-t-on la limite ? (selon vous et selon les poskim qui auraient traité la question)
Quelqu'un qui fait du Moré Nevoukhim accomplit-il la mitsva de Talmoud Torah ?
Et quelqu'un qui lit les Sipourei Maassiyot de Rabbi Na'hman ?
Que penser de quelqu'un qui lit un livre d'histoire juive ou la biographie d'un rav important ?
Que direz-vous si l'on s'éloigne encore plus : étudier des mathématiques ou de la géométrie pour comprendre un Tossfot dans Soukka, de l'astronomie pour comprendre Hilkhot Kiddouch ha'Hodech, ou encore de la philosophie aristotélicienne pour comprendre Hilkhot Yessodei haTorah ? (dans certains cas il s'agira même de livres écrits par des non juifs...)
L'intention que l'on a au moment de la lecture est-elle déterminante ou les mots du texte ont un statut "sacré" peu importe ce que l'on y cherche ? (Ou peut-être que les deux paramètres coexistent)

Il me semble qu'au-delà de l'importance "hashkafatique" de la question, cela a deux conséquences halakhiques de taille : le 'hiyouv de réciter la berakha du limoud torah et l'interdit de faire ces lectures aux toilettes.

Merci beaucoup !
Betsalel
Rav Binyamin Wattenberg
Messages: 6664
Citation:
Bonjour Rav Wattenberg, et merci pour vos réponses érudites et instructives qui m'ont beaucoup éclairé depuis que je vous lis !
Ma question concerne l'existence d'une définition halakhique des sfarim et des lectures qui sont considérés comme du "Limoud Torah". Evidemment il n'y a pas de question lorsque quelqu'un étudie une page de guemara, des commentateurs du talmud ou du 'houmash-rashi, mais dès que l'on s'éloigne un peu du noyau "canonique" de la tradition et des auteurs unanimement reconnus, où place-t-on la limite ? (selon vous et selon les poskim qui auraient traité la question)
Quelqu'un qui fait du Moré Nevoukhim accomplit-il la mitsva de Talmoud Torah ?
Et quelqu'un qui lit les Sipourei Maassiyot de Rabbi Na'hman ?
Que penser de quelqu'un qui lit un livre d'histoire juive ou la biographie d'un rav important ?
Que direz-vous si l'on s'éloigne encore plus : étudier des mathématiques ou de la géométrie pour comprendre un Tossfot dans Soukka, de l'astronomie pour comprendre Hilkhot Kiddouch ha'Hodech, ou encore de la philosophie aristotélicienne pour comprendre Hilkhot Yessodei haTorah ? (dans certains cas il s'agira même de livres écrits par des non juifs...)
L'intention que l'on a au moment de la lecture est-elle déterminante ou les mots du texte ont un statut "sacré" peu importe ce que l'on y cherche ? (Ou peut-être que les deux paramètres coexistent)
Il me semble qu'au-delà de l'importance "hashkafatique" de la question, cela a deux conséquences halakhiques de taille : le 'hiyouv de réciter la berakha du limoud torah et l'interdit de faire ces lectures aux toilettes.


On dit généralement que Sheélat ‘hakham ‘Hatsi Tshouva, vous l’illustrez bien.

Pour tout ce que vous définissez comme extérieur au canon, effectivement, l’intention jouera un rôle prépondérant.
Deux personnes pourront lire le même texte au même moment et pour l’un ce sera une Mitsva alors que pour l’autre non.

Mon maitre Rabbi Guedalia Nadel m’avait parlé de ça, il me semble bien que c’était en 1995. Nous avions discuté des études ‘Hol et des connaissances séculières, il m’avait dit qu’elles peuvent s’apparenter à de la Torah si la motivation, lors de leur apprentissage, est pour mieux comprendre la Torah ou mieux pratiquer les Mitsvot.
Il m’a dit : tu sais bien qu’on dit que le Gaon de Vilna trouvait des Remazim à des équations et théorèmes mathématiques dans les Psoukim, je te demande, qu’est-ce que ça fait dans la Torah (même sous forme de Remez) s’il s’agit de bêtises ou de futilités ? Si la Torah y fait allusion, c’est que c’est de la ‘Hokhma divine et il ne convient pas de la mépriser.
(La Torah ne fait pas de remazim à Mickey...)

Cependant, pour ce qui est de l’incidence Halakhique de Birkat Hatorah, ça n’est pas encore suffisant, car les sciences ne sont que כרקחות וטבחות selon l’expression consacrée.
Disons que c’est comparable à des Makhshirei Mitsva mais ce n’est pas la mitsva elle-même.
Donc pas de brakha.

Idem pour la lecture aux WC, il reste autorisé de lire un traité d’astronomie aux toilettes, même si notre seule et unique motivation est de mieux comprendre les lois du Kidoush Ha’hodesh.
C’est un Makhshir Mitsva (et en cela une "mitsva"), mais ça ne confère pas à cette étude un caractère de Kdousha intrinsèque.

Concernant un livre comme les Sipourei Maassiyot de Rabbi Na'hman de Breslev, ou tout autre Sefer Moussar, ou une biographie rabbinique/etc. Même en l’absence de citations de Maamarei ‘Hazal, il y a un aspect « mitsva » dans leur étude, sans pour autant nécessiter le Brakha avant, c’est comme un livre de ‘Hol pour celui qui l’étudie exclusivement pour comprendre sa souguia dans Erouvin.
Il s’agit d’une lecture qui rapproche l’homme de D.ieu, c’est donc « mitsvatique », sans être réellement « LA » mitsvat Talmoud Torah.

D’après cela, ces livres (de maths, ou de Moussar -dénué de maamarei ‘hazal- disons un sefer de morale comme il y en avait avant) peuvent se lire aux toilettes.
Voyez ce que j’ai écrit ici : https://www.techouvot.com/viewtopic.php?p=42206#42206

Concrètement, avant l'étude d'un Sefer Moussar (officiel) ou d'un Sefer de Droushim ou de 'Hassidout, il faudra faire Birkat Hatorah car ils comportent généralement des Psoukim et Maamarei 'Hazal (mais c'est pour cette raison uniquement). Voyez Mekor 'Haim (Bakhrakh) (§47, 2).

Il y a des Poskim qui vont plus loin (puisque vous me demandiez l’opinion des Poskim), Rav Sternbuch (Tshouvot Vehanhagot IV, §17) va jusqu’à écrire qu’un père qui enseigne l’alphabet (hébraïque) à son fils le matin doit d’abord faire Birkat Hatorah !

C’est assez étrange.
Il apporte une première preuve de Nedarim (37a) où il est dit qu’un enseignant pour enfant (instituteur) peut se faire payer bien qu’il enseigne la Torah, car la paie vient en contrepartie de la garde des enfants ou encore parce qu’il leur enseigne les Teamim.
Rav Sternbuch demande : pourquoi n’a-t-on pas dit « parce qu’il leur enseigne l’alphabet » ? c’est bien la preuve que pour l’enseignement de l’alphabet aussi il est interdit de se faire payer car c’est du Limoud Hatorah. (et donc cela nécessite Brakha).

Ce n’est pas convaincant du tout.
Tout d’abord on pourrait dire que la Gmara ne voulait pas restreindre le Heiter au cas où l’enseignement portait sur l’alphabet (ce qui impliquerait uniquement les très jeunes enfants). (lui-même repousse sa preuve d’une manière similaire.)

Ensuite il semble bien que cet apprentissage ne se faisait pas forcément à l’école mais avant, à la maison, puisqu’on leur enseignait l’alphabet, selon le Rama (Y’’D §245, 8), dès l’âge de 3 ans, or on ne les envoyait pas à l’école avant (5 ou) 6 ans (Ktouvot 50a).

Donc il n’y a rien à prouver du fait que la Gmara de Nedarim n’ait pas proposé cette justification pour le salaire du Moré.

Et justement, le fait que la Gmara ait parlé de l’enseignement des Teamim prouve bien que nous parlons d’enfants qui apprennent les Psoukim !

De plus, la gmara se demande comment il peut se faire payer pour l'enseignement de la Torah, c'est donc qu'il enseigne une matière qui est considérée Torah, sauf qu'en PARALLELE de cela, il rend un autre service (celui de garder les enfants ou de leur enseigner les Teamim) et on dit que le paiement se rapporte à l'autre partie qui vient EN PLUS de l'enseignement de Torah. Or, si l'on dit, comme Rav Sternbuch le propose, qu'il s'agit de l'enseignement de l'alpahabet, cet enseignement ne peut pas s'additionner à l'enseignement des Psoukim (puisqu'ils ne savent pas encore lire), il s'agirait donc de dire qu'il ne leur enseigne QUE l'alphabet, et si c'est le cas et que ce n'est pas considéré du Limoud hatorah, la Gmara ne répondrait pas à la question qui l'intéressait puisqu'il n'y aurait aucun paiement pour un service rendu EN PARALLELE du Limoud Torah.

(Dit autrement, ça serait comme si la Gmara demandait comment un enseignant se fait payer pour l'enseignement de la Torah, et qu'elle répondait: il enseigne la géographie et pas la Torah! Dans ce cas, nous sommes contents pour lui, mais ça ne répond pas à la question. Il faut répondre à comment se fait-on payer lorsqu'on enseigne la Torah!)


Donc au contraire, s’il s’agissait de l’enseignement de l’alphabet, il n’y aurait eu aucun problème à rémunérer l’instituteur, précisément car ça ne s’appelle pas enseigner la Torah.

C’est d’ailleurs la justification de Rav Elia Ba’hour (seconde Hakdama du Messoret Hamassoret) pour se défendre des arguments de ses contempteurs l’accusant d’enseigner la Torah à un non-juif.
Rav Elia Ba’hour répondit que son enseignement se borne à l’alphabet, la langue (l’hébreu) et la grammaire (le Dikdouk).
L’interdit d’enseigner la Torah au non-juif ne saurait concerner ces parties.

L’alphabet ne fait donc pas, selon lui, partie de la Mitsvat Talmoud Torah. (=ce n’est qu’un Hekhsher Mitsva).

Toutefois, Rav Sternbuch n’est pas le seul à considérer l’apprentissage des lettres comme étant un Kiyoum Mitsvat Talmoud Torah, le Shla (Massekhet Shavouot daf 185a) rapporte au nom du Maharam Gabay l’interdit d’enseigner l’alphabet au non-juif.
Le Maharam Gabay se trouve dans Tolaat Yaakov (Sod Hamila -Jér. 1996, p.147).
Avant eux, le Sefer ‘Hassidim (§238) l’interdisait.
Voir aussi Shout Kenaf Renana (I, §4) qui critique cette réponse du Rav Elia Ba’hour, et le Shout Dvar Shmouel (§75) qui inclut l’enseignement de l’alphabet hébraïque dans le Issour Talmoud Torah LeAkoum, et il est cité dans le Shiyourei Brakha (Y’’D §244).
Le Shout Bessamim Rosh (§327) aussi semble opposé à cet enseignement.
Voir encore Shout Maassé Ish (Y’’D §7), Iyoun Yaakov (‘Haguiga 13a) et dans mes notes sur le Safa Leneemanim (Varsovie 2021, p.380).

Rav Sternbuch apporte une autre preuve à partir du Gaon sur le Rama (Y’’D §245, 8). Le Rama dit qu’après ses 3 ans, on commence à enseigner à l’enfant l’alphabet, et le Gaon indique comme source le Midrash Tan’houma qui compare l’enfant à l’arbre de Orla, jusqu’à 3 ans, l’enfant est comme « Arel » et non-concerné par les Mitsvot, c’est seulement après qu’il commence.
De là, Rav Sternbuch déduit que l’étude de l’alphabet n’est pas simplement un Hekhsher Mitsva, sans quoi, on pourrait déjà l’enseigner à l’enfant « comme Arel ».
La preuve est très peu convaincante.

Puis Rav Sternbuch écrit que les lettres hébraïques ne sont pas comme celles des autres alphabets, car dans chacune de nos lettres, il y a des Remazim à des Sodot de la Torah (etc.).

Je respecte, mais je ne comprends pas.
Quand bien même des Remazim y fourmilleraient à profusion, en quoi cela entraîne une nécessité de Brakha ?

Si le concerné est un kabbaliste qui va penser à des tas de « Sodot » lorsqu’il va enseigner à son fils l’alphabet, j’entends, mais il ne s’agit pas de cela, nous parlons pour « M. tout le monde ».
[Et même pour le kabbaliste, le simple fait de PENSER à des Divrei Torah n’implique pas encore de Brakha selon le Shoul’han Aroukh (O’’H §47, 4), il faudrait les prononcer, ce qu’il ne devrait pas faire en présence de son fils…]

Rav Sternbuch poursuit en disant que ces lettres sont celles que nous avons reçues dans les Tables de la loi et elles sont elles-mêmes « Torah »…

Là encore, pardonnez mon incrédulité, mais même si ce sont les lettres du don de la Torah, en quoi cela prouve qu’il faille une Brakha avant de les enseigner ? quel rapport ?

D’autant que ce sujet est discuté dans la Gmara Sanhedrin (21b) où certains pensent que la Torah a été donnée dans un alphabet (appelé Ktav Ivri) différent de celui que nous utilisons aujourd’hui !

Certes, parmi les commentateurs, nous trouvons le Yaabets (Migal Oz Aliyat Haktiva, p.5) pour qui il est clair que le premier Sefer Torah ainsi que les Lou’hot étaient en Ktav Ashouri (comme le nôtre) bien que les autres Sifrei Torah écrits par Moshé l’étaient dans un autre alphabet.
Voir aussi ‘Hasdei David (Sanhedrin §IV, 5) en ce sens.
Voir encore Radbaz (§883), Ritva (Meguila 2b), Maharal (Tiféret Israel §64). (Cf. aussi mon Shiour sur Sanhedrin 21b.)

Il est vrai que la Gmara Shabbat (104a) nous dit que les lettres Samekh et Mem Sofit qui se trouvent dans le Décalogue, tenaient par miracle dans les Tables de la Loi (puisque l’inscription transperçait la pierre de part en part et qu’il s’agit de lettres « fermées », composant un cercle ou un carré), mais justement, dans le Yeroushalmi (Meguila §1) il est dit que c’est la lettre Ayin qui tenait par miracle.
Or, en Ktav Ivri, c’est justement le Ayin (et seulement le Ayin) qui est une lettre « fermée ».
Cela signifie que (selon le Yeroushalmi) les Tables de la Loi ont été données en Ktav Ivri et non en Ktav Ashouri.


J’avais demandé, il y a à peu près une vingtaine d’années il me semble, à Reb Dovid Kohn de Flatbush ce qu’il pensait de la lecture des livres de Flavius Josèphe aux toilettes, ou à Tisha Beav.
Il disait que ça dépend pour qui ; pour un Talmid ‘Hakham, ou un Avrekh, ou tout juif « branché limoud », cette lecture risque fort de lui faire penser à des Divrei Torah. Donc il ne faut pas.
Par contre, pour un Am Haarets, il est licite de lire du Flavius le 9 Av ou aux WC, comme tout livre d’histoire ne comportant pas de Divrei Torah (et portant sur le 'Horban pour le 9 Av).

Je n’adhère pas à 100% à sa position, car pour un Talmid ‘Hakham (etc.), n’importe quel autre livre d’histoire lui ferait penser à des Divrei Torah, idem pour un livre de science, ou de morale, etc. Doit-on interdire la lecture aux Talmidei ‘Hakhamim aux toilettes ?

Tant qu’une lecture évoque un Dvar Torah ou un Maamar ‘Hazal sans le vouloir, il n’y a pas d’interdit, c’est un Oness, il suffira de ne pas continuer volontairement à analyser (mentalement) l’analogie qui nous vient à l’esprit.
Sans quoi, même sans lire on devrait interdire au Talmid ‘Hakham d’entrer aux WC, car tout peut faire penser à un Maamar ‘Hazal.

Je suis donc d’avis qu’il devrait être autorisé à tout le monde de lire du Flavius (un livre comme la Guerre des Juifs, qui ne comporte pas de Divrei Torah en tant que tels) aux WC. Cependant, je ne me permets pas de le faire, ni d’indiquer aux autres de le faire (pour ceux qui, comme moi, ce genre de lecture rappelle des idées des textes saints), car j’ai du mal à me positionner officiellement en désaccord avec le grand Rav Dovid Kohn sur ce point, je ne fais pas le poids et je me dis qu'un élément m'échappe peut-être.

Par contre, pour d’autres livres d’histoire, oui, c’est Moutar (même d’après Rav Kohn) alors que je trouve que l’on peut aussi être amené à penser à des Maamarei ‘Hazal en les lisant. Il suffira de « repousser » ces pensées.

Vous mentionnez aussi le Moré Nevoukhim. Pour le coup, ce livre comporte déjà des éléments incompatibles avec les WC, pareil pour le ‘Hovot Halevavot et autres livres de ce type.

Mais si vous copiez un passage du Moré Nevoukhim sur feuille libre, et que ce passage est dénué de tout Dvar Torah/passouk/maamar… vous pouvez le lire aux WC même si cette lecture vous amène à mieux comprendre D.ieu et vous en rapprocher.

Pour les biographies rabbiniques, là encore, souvent elles contiennent des Maamarei ‘Hazal, mais si vous en trouvez une écrite par un non-juif qui décrit son ami rabbin (je veux dire sans y mêler une once de Divrei Torah), vous pouvez la lire aux WC (sauf peut-être selon Rav Kohn si vous êtes amené à penser à des Divrei Torah par cette lecture).

Par manque de temps, ayant été trop long, je ne peux pas me relire, sorry pour les fautes...
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