Techouvot.com

La réponse de qualité à vos questions

La loi juive et l'euthanasie

Voir le sujet suivant Voir le sujet précédent
Poster un nouveau sujet Répondre au sujet
BLOEMHOF
Messages: 8
Le monde entier s'est ému, ces derniers jours, sur le sort de Terri Schiavo, cette jeune femme américaine en état végétatif irréversible depuis quinze ans, devenue l'enjeu d'un débat judiciaire à grand spectacle, les tribunaux étant appelés à trancher entre la volonté de son mari, désireux de voir mettre fin à son état en "débranchant" le tube d'alimentation qui la maintenait en vie, et celle de ses parents, qui exigeaient qu'elle soit maintenue en vie.

Dans telle situation, quel serait le point de vue de la halakha ?
Jacques Kohn ZAL
Messages: 2766
Parmi les nombreuses questions soulevées par cette douloureuse affaire, se pose essentiellement celle de l’attitude à adopter sur l’euthanasie.
Cette dénomination, formée à partir de deux mots grecs : eu (« bon », « facile ») et thanatos (« mort »), désigne ce que l’on peut appeler la « bonne mort » ou la « mort douce ». Il s’agit de gestes consistant à donner la mort, par pitié ou par compassion, à une personne atteinte de troubles sévères d’ordre mental ou physique, ou à un malade en phase terminale.
Il existe deux sortes d’euthanasies. Elle peut être « active », et consister en l’administration de produits qui accéléreront l’issue finale. Elle peut également être « passive », soit que l’on s’abstienne de tout traitement pouvant prolonger la vie du patient, par exemple en ne lui fournissant pas de dispositif aidant à la respiration, soit que l’on cesse un tel traitement, en déconnectant un appareil destiné à le maintenir en vie.
Le judaïsme s’oppose absolument à toute forme d’euthanasie active. La source de son opposition se trouve dans la Guemara, qui compare la vie d’un moribond (gossès, dans le langage talmudique) à la flamme vacillante d’une bougie, que le moindre souffle d’air suffit à éteindre (Chabbath 151b). Le moindre geste esquissé pour mettre fin à la vie d’un malade est un meurtre.
Le Rema s’exprime ainsi qu’il suit (Choul‘han ‘aroukh Yoré dé‘a 331, 1) : « Il est interdit de hâter le moment de la mort. Si par exemple quelqu’un est gossès depuis longtemps mais ne peut pas quitter la vie, on n’a pas le droit de retirer l’oreiller qui se trouve sous lui, certaines personnes s’imaginant qu’il existe des plumes qui retardent l’instant de la mort. On ne doit pas non plus le changer de place, ni placer sous sa tête les clés de la synagogue pour hâter son décès.
Mais s’il y a quelque chose qui empêche l’âme de quitter le corps, comme le bruit que fait un bûcheron près de la maison, ou s’il y a du sel sur la langue [du malade], et que ceux-ci empêchent l’âme de s’en aller, il est permis de les enlever, étant donné que ce n’est pas une véritable action, mais un geste consistant à supprimer ce qui fait obstacle à l’issue fatale (hassarath moné‘a). »
En résumé, s’il existe quelque chose qui retarde le décès d’un gossès, il est permis de l’en retirer, et cela ne ressemble pas à l’acte d’éteindre une bougie. Il n’en est pas de même de celui qui consiste à placer un objet sur le moribond, ou à le déplacer pour hâter son décès, ce qui est interdit.
Cette notion de hassarath moné‘a a donné lieu à une abondante littérature. Elle a été définie pour la première fois au douzième siècle dans le Séfèr ‘hassidim, l’œuvre maîtresse de rabbi Yehouda ha-‘hassid :
« On ne doit pas retarder la mort d’une personne. Si par exemple quelqu’un coupe du bois à proximité de la maison d’un moribond, l’empêchant ainsi de mourir, on le fait partir […] Mais si le moribond déclare qu’il ne pourra pas mourir aussi longtemps qu’il n’aura pas été placé en un autre endroit, on ne doit pas le déplacer […] On ne doit pas crier au moment de la mort, et ce afin de ne pas causer de grandes souffrances à l’âme. “Il est un temps pour mourir”, est-il écrit (Ecclésiaste 3, 2). Pourquoi est-il indiqué qu’il y a un temps pour mourir, et non qu’il y a un temps pour vivre ? C’est pour nous apprendre que lorsque quelqu’un est mourant et que son âme en prend congé, on ne doit pas pousser des cris, de crainte que cette âme revienne et le fasse revivre pendant quelques jours au prix de grandes souffrances. Et il n’est pas écrit qu’il y a un temps pour vivre, parce qu’il n’est pas donné à l’homme de décider du jour de sa mort. »
Nous citerons ci-après quelques-uns des avis émis en la matière par deux des plus éminents décisionnaires de notre temps, rav Moché Feinstein zal (1895-1986) et rav Chelomo Zalman Auerbach zal (1910-1995).
1. S’il est une obligation impérieuse de soigner les malades les plus gravement atteints, ceux-ci peuvent, dans certaines limites, refuser le traitement que le médecin veut leur administrer, en particulier, si leurs douleurs leur sont intolérables (Igueroth Moché, ‘Hochèn michpat II, volume 7, paragraphe 74, p. 311 à 315).
Il est des situations où l’on a le droit, compte tenu de l’état du malade, de lui refuser des soins. C’est le cas, par exemple, d’un malade qui présente un cancer mais à qui n’a pas été proposée une chimiothérapie. Si le médecin la propose, mais si le malade est éprouve des souffrances extrêmes et qu’il n’est pas prouvé que le traitement en question se révélera efficace, celui-ci a le droit de le refuser s’il ne fera que lui prolonger la vie sans lui procurer un espoir raisonnable d’amélioration de son état (Igueroth Moché, ‘Hochèn michpat II, volume 7, paragraphe 73, 3, p. 304).
Il est important de souligner que la loi juive, contrairement aux autres législations, opère une nette distinction entre les maladies en phase terminale et celles qui provoquent une détérioration progressive de l’état du malade.
Une maladie incurable dont l’issue fatale sera inéluctable dans moins d’un an est considérée par la halakha comme terminale. Le patient qui se trouve dans cette situation est appelé un ‘hayyei cha‘a (« dont le temps est limité »). Celui dont on peut s’attendre à ce qu’il vive encore pendant plus d’un an est appelé ‘hayyei ‘olam (« dont le temps est indéfini »).
S’agissant du malade en état végétatif chronique ou de celui qui est atteint de la maladie d’Alzheimer, on ne peut parler de ‘hayyei cha‘a, bien que son état soit irréversible et qu’il ne puisse que s’aggraver jusqu’à son issue fatale. Un tel malade doit continuer de recevoir les mêmes soins que ceux que l’on administre aux autres patients. On ne peut le considérer comme se trouvant en phase terminale, du moins jusqu’à la phase finale de sa maladie, et il doit continuer d’être soigné nonobstant l’apparente « futilité » de son existence (Igueroth Moché, ‘Hochèn michpat II, volume 7, paragraphe 75, 1, p. 315).
2. La Tora nous apprend que chaque instant de la vie possède une valeur intrinsèque, et que la vie elle-même n’est jamais futile. Rav Auerbach fait observer que nous ne disposons pas de critère de référence pour mesurer la véritable valeur de la vie. Nous devons profaner le Chabbath même si la vie à sauver est celle d’un vieillard sourd et sénile, incapable d’exécuter aucune mitswa, (Halakha ou-refoua, volume 3, page 60).
De même n’est-il pas en notre pouvoir de décider qu’il ne vaut plus la peine de vivre, et donc de cesser un traitement (Halakha ou-refoua, volume 2, page 131 : « On n’est pas maître de son corps pour pouvoir l’abandonner même un seul instant. »)
Lorsqu’un malade est sur le point de mourir, estime rav Auerbach, on ne doit pas prendre sa température, ni mesurer son pouls ou sa tension. On ne doit pas non plus, cela va de soi, effectuer de prise de sang, à moins que ce ne soit à des fins thérapeutiques (Nichmath Avraham, Yoré dé‘a 339, 3 ; page 444).
Il est permis de prier pour que soit hâtée la fin d’un malade en phase terminale (Voir Ran ad Nedarim 40a), mais nous ne devons rien faire qui puisse précipiter sa mort, et rav Auerbach reconnaît qu’il vaut mieux parfois rester sans rien faire quand il ne reste plus aucune issue.
Telle est également l’opinion de rav Feinstein : « Même si nous avons l’obligation de soigner les malades les plus gravement atteints, il est clair qu’ils ont le droit de refuser le traitement en phase terminale, en particulier lorsqu’ils sont tourmentés par de violentes souffrances.
Selon rav Auerbach, on doit continuer de fournir au malade en phase terminale de la nourriture et de la boisson même contre sa volonté, au besoin par un tube nasogastrique ou par gastrostomie (Min‘hath Chelomo 91, 24), mais il n’est pas besoin de le suralimenter (Encyclopedia Hilkhatith refouith, vol. 4, s.v. noté lamouth, page 405). On peut ne pas lui administrer des traitements spécifiques pour sa maladie ou ses complications, tels que de la chimiothérapie, de l’hémodialyse ou une ventilation mécanique. On continuera cependant de le soutenir par de l’alimentation, une hydratation, de l’oxygène et des antibiotiques (ibid. p. 403).
Il est strictement interdit de déconnecter ou de retirer un équipement médical d’un gossès, y compris pour sauver quelqu’un d’autre (ASSIA Journal of Medicine, Ethics & Halacha, N° 55, 1994, page 43).
On peut citer en conclusion l’opinion suivante exprimée par rav Auerbach :
« Les gens sont souvent dans l’embarras quant à la façon de soigner un malade devenu gossès. Il y en a qui croient que, de même que nous devons profaner le Chabbath pour assurer une survie temporaire, de même devons-nous forcer le patient à agir de même, étant donné qu’il n’est pas le « propriétaire » de sa personne et qu’il n’a pas le droit de renoncer à la vie, ne serait-ce qu’un instant.
Néanmoins, il me semble raisonnable de dire que lorsqu’un patient éprouve de grandes douleurs, même au niveau psychologique, on doit certes lui donner de la nourriture et de l’oxygène même contre son gré, mais l’on a le droit de ne pas lui administrer, s’il le demande, des médicaments qui le feraient souffrir » (Min‘hath Chelomo 91, 24).
(Les indications qui précèdent ne constituent qu’un aperçu rudimentaire des questions qui se posent en la matière, et il va de soi qu’elles ne sauraient être considérées comme ayant valeur halakhique.)
Emmanuel BLOCH
Messages: 38
Cette réflexion est toute personnelle et n'engage que moi, mais il me semble que l'exemple de l'euthanasie permet, au moins dans certains cas, de bien sentir combien sont différentes les approches de la Halakha et la loi moderne.

Quelle est la source de l'interdiction de tuer ?

Pour un Juif croyant, la question ne se pose pas ; D.ieu nous a dit "Lo Tirtsa'h - tu ne tueras point " dans les 10 Commandements.

En droit moderne, bien sûr, la parole divine n'est pas source de loi. Le droit civil reconnaît donc à chaque individu un "droit à la vie", droit absolu dont on s'attend à ce qu'il soit respecté par tous les autres membres de la société.

Que se passe-t-il losrqu'un malade demande à une aide-soignante, par exemple, de l'aider à mourir, pour abréger ses souffrances (ce n'est bien sûr pas le cas de Terri Schiavo) ?

Dans la halakha, le consentement à l'euthanasie (assistance au suicide) est irrelevant : seul D.ieu décide qui va vivre et qui va mourir. L'interdiction du meurtre s'applique même à sa propre vie, i.e. au suicide.

Par contre, en droit moderne, je ne vois pas pourquoi une personne saine d'esprit ne pourrait pas consentir à sa propre mort en renonçant à son "droit à la vie".

Je suis donc un peu surpris que l'assistance au suicide soit interdite ; je n'ai pas vérifié le droit de tous les pays du monde, mais j'ai l'impression que c'est général.

A mon sens, on peut expliquer ceci comme un reste du passé, du temps où le droit n'était pas entièrement bâti sur des fondations séculières. Mais je ne serais pas étonné que, avec l'évolution progressive des mentalités, il soit un jour "acceptable" d'assister activement quelqu'un à mourir, lorsque l'assisté a déclaré son accord.

C'est en quelque sorte dans la logique (juridique) des choses, même si, en tant que Juif pratiquant, je déplorerais un tel changement.
Montrer les messages depuis:
Voir le sujet suivant Voir le sujet précédent
Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas voter dans les sondages de ce forum